jeudi 17 janvier 2008

INSERTION : CE QUI DEVRAIT CHANGER EN THÉORIE





Au cours du débat parlementaire sur les enjeux de l'insertion qui s'est tenu le 17 janvier 2008 au Sénat et à l'Assemblée nationale, Martin Hirsch, Haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté a prononcé un discours dans le but de proposer la refondation des politiques d'insertion sur de bases nouvelles.


Présenté en Conseil des ministres le 21 novembre, le Grenelle de l’insertion poursuit trois objectifs :
replacer l’insertion au cœur des débats de société en donnant la parole aux professionnels, aux associations et aux bénéficiaires, et en mobilisant les collectivités territoriales, les entreprises et les partenaires sociaux ; _ améliorer la performance globale des politiques d’insertion ; _ engager les réformes qui s’imposent pour parvenir à une unification de tous les contrats aidés afin d’aboutir à un contrat unique d’insertion ; à l’accès à la formation professionnelle pour les personnes les plus éloignées de l’emploi et à l’évolution du financement de l’insertion par l’activité économique. _Sur ce dernier point, le haut commissaire s’est engagé à ce que l’insertion fasse l’objet d’évaluations, au sein des entreprises d’insertion, mais aussi des entreprises classiques, qui devront "bâtir des critères de performance" dans ce domaine. Ces critères "seront négociés et pas imposés" a précisé Martin Hirsch. La mise en place d’une clause d’insertion pour les entreprises est également à l’étude. _D’autres sujets comme l’illettrisme, le microcrédit, l’insertion à la sortie de prison feront l’objet de propositions spécifiques.
Les Rencontres de l’expérimentation sociale, qui se sont tenues les 23 et 24 novembre à Grenoble, ont lancé les travaux du Grenelle de l’insertion pour une durée de six mois. Le site experimentationssociales.fr a été créé à cette occasion.
Trois groupes de travail ont été installés en décembre : _ sur les objectifs de la politique d’insertion et sa gouvernance ; _ sur les trajectoires et les parcours d’insertion ; _ sur le rôle des employeurs et leur implication dans les politiques d’insertion.



EXTRAITS DE L’INTERVIEW DE M. HIRSCH AU « MONDE »

Pourquoi organiser six mois de débats avant d'entreprendre les réformes ?
2008 doit être une grande année pour l'insertion. Nous allons essayer d'en refonder toutes les politiques : minima sociaux, contrats aidés, formation professionnelle, gouvernance… Ce ne sont pas des changements qui se décrètent ou s'improvisent. Ils se négocient.
Pourquoi le système actuel ne marche-t-il pas ?
La société fonctionne comme une centrifugeuse projetant les moins performants en dehors du système. Au lieu d'adapter les exigences pour faire une place aux plus vulnérables, on a multiplié les mécanismes de compensation, catégorie par catégorie. Evidemment, tous ne rentrent pas dans les cases.
Le parcours d'insertion, ce sont souvent des portes qui s'entrouvrent puis se referment.! Pour faire plus simple et plus efficace, il faut un moteur. Jusqu'ici, il y avait une pression sociale, insuffisante. Aujourd'hui, les entreprises nous disent : Nous avons besoin des politiques d'insertion pour recruter.
Des vrais emplois sont à pourvoir jusque dans les pôles de compétitivité et l'artisanat. L'avenir des entreprises dépend aussi de l'efficacité des politiques d'insertion. Ce qui est nouveau, c'est qu'elles en ont pris conscience. Elles s'impliquent dans le Grenelle, plus par intérêt que par philanthropie.
Que proposez-vous pour améliorer les conditions de vie des 2 millions de travailleurs pauvres ?
Le revenu de solidarité active (RSA) doit servir au pouvoir d'achat des travailleurs pauvres à partir de 2009. Vous pouvez vous retrouver dans une entreprise avec une personne qui sort du RMI pour un emploi à mi-temps et qui, la première année, va gagner plus d'argent qu'un collègue qui n'est pas passé par les minima sociaux.
Le RSA est conçu comme une garantie absolue qu'à salaire horaire et situation familiale donnés, les revenus soient équivalents et augmentent avec la quantité de travail, de la première jusqu'à la dernière heure.
L'emploi dégradé, et dégradant, existe. Conserver un système dans lequel le fait de reprendre du travail fasse perdre de l'argent, personne n'arrivera à me convaincre que c'est bien. La mise en place du RSA se fera dans le cadre d'une négociation avec les partenaires sociaux sur la qualité de l'emploi.
Disposerez-vous des crédits nécessaires pour vos projets ?
Nous avons avec l'Elysée et Matignon une obligation réciproque : ils me chargent de faire le RSA, j'ai le devoir de montrer qu'il marche. Si ça marche, nous aurons les crédits. Le coût annuel d'entrée est compris entre 2 et 3 milliards d'euros. Ce sera un investissement rentable.



Pourtant, AC! Agir contre le chômage s'interroge sur l'utilité du "Grenelle de l'insertion" lancé vendredi à Grenoble, puisque «les décisions sont déjà prises» et risquent de «léser» les personnes en situation de grande précarité, comme le RSA qu'elle juge «complexe et inégalitaire».

«A quoi peut servir ce "Grenelle" alors que les décisions sont déjà prises ?», interpelle AC! en évoquant le RSA (revenu de solidarité active), expérimenté dans 40 départements. Un dispositif «complexe, inégalitaire», car le complément attribué aux bénéficiaires de minima sociaux en cas de reprise partielle de travail «changera d'un département à l'autre, mais aussi d'une personne à l'autre dans le même département», souligne l'association de défense des chômeurs.
Au sujet du contrat unique d'insertion sur lequel se penche le gouvernement et qui sera au centre des discussions, elle craint «l'instauration de contrats sur mesures, au gré des besoins des employeurs, public ou privé».

Au détriment de l'insertion sociale

Le Grenelle de l'insertion part «du présupposé absurde que seul l'emploi peut répondre aux problèmes sociaux», souligne AC! en rappelant qu’«un SDF sur trois travaille». «Comment prendre au sérieux un ministre qui brandit comme étendard les 35 millions d'euros attribués pour la mise en place du RSA quand ce sont 15 milliards d'euros de cadeaux fiscaux qui sont consentis aux plus riches ?», s'interroge-t-elle.

AC! souhaite avertir que les Conseils généraux, qui financent une partie du RSA, risquent de le faire «au détriment de l'insertion sociale ou d'autres budgets» de solidarité. «L'absence totale au Grenelle de problématiques ayant trait à l'insertion sociale revient de fait à considérer que l'emploi est un préalable à la prise en compte des problèmes de santé, logement, mobilité, et que celui qui est privé d'emploi ne peut prétendre à rien», déplore l'association.

Précarité institutionnalisée

Il n'y a pas qu'AC! qui pense que le RSA risque d'enfermer ses bénéficiaires dans le sous-emploi précaire. Déjà, en mai 2005, un rapport d'étude du Sénat (réalisé par Valérie Létard, actuelle secrétaire d'Etat à la solidarité) avertissait : "Le soutien très important apporté par le RSA dès les premières heures d'activité fait craindre des pressions à la baisse sur les salaires, et un renforcement du recours par les entreprises à des emplois à temps partiel." Solidarité gouvernementale oblige, l'auteure du rapport ne s'étale plus sur le sujet... De plus, pour limiter ses effets pervers, il était prévu d'expérimenter le RSA pendant trois ans mais, succombant à la pression sarkozyenne, Martin Hirsch a annoncé sa généralisation… fin 2008. Ainsi, l'obligation de résultat se fera au détriment de la qualité : on affichera très vite une baisse de la pauvreté en laissant dans leur situation ceux qui sont les plus éloignés du monde du travail.