mercredi 6 septembre 2006

Questions de projets, réponses de chefs de projet

Rédigé par Isabelle Harlé

Pour bien vivre la logique de projet, il faut des repères fins et évolutifs quand les repères se déplacent et se complexifient


Passer d’une fonction de manager à une fonction de chef de projet, c’est comme, pour un marin, passer du cabotage en côtes bretonnes, non dépourvu de ses difficultés (la marée, les cailloux), mais bien pourvu de repères fiables et soigneusement répertoriés (merci aux phares et balises), à un raid au large de la Nouvelle Zélande.




Certes, c’est toujours de la navigation et il y a autant de cailloux, mais les repères ne sont plus les mêmes; vous ne reconnaissez plus votre ciel la nuit, le problème n’est plus la marée mais l’instabilité du climat, et quant aux phares et balises, il vaut mieux en faire votre deuil.


Questions d’autorité

Qui est patron à bord ?
Les organisations par projet entraînent un changement régulier des liens d’autorité, voire une double autorité, lorsque l’affectation à un projet n’est pas à temps plein.

Les projets sont également plus sensibles aux ingérences des dirigeants.

Et quand on est jeune chef de projet, et qu’on a ni l’autorité hiérarchique ni le poids de l’expérience, quel leadership exercer?

En matière d’autorité, il va donc falloir inventer des alliances solides entre les fonctionnels et les hiérarchiques, entre les jeunes et les anciens, et imaginer des manières de nouer ses alliances rapidement, quitte à répartir le leadership en se posant la question plus finement :

patron de quoi, de qui, sur quels sujets et jusqu’à quand?

Je suis chef des voiles, tu t’occupes du rivage et du ciel.


Question de temps

La logique de projet est une logique d’échéance. La date de la finale de la Coupe America, ne sera pas repoussée, ce n’est pas négociable.

Les jalons du processus projet, comme les échographies de surveillance d’une grossesse, sont une nécessité, une évidence.

Comment le skipper et son équipage sont-il armés pour affronter le stress du temps?

Vont-ils s’en servir comme stimulant ou comme inhibiteur?



Questions de frontières

Ca commence où et ça s’arrête quand ?

- Un projet passe progressivement des mains du bureau d’étude à celles de la production,

- les décisions et opérations d’une phase ne portent fruit que trois phases plus loin,

- les membres d'une équipe projet viennent d’origines diverses (clients, fournisseur, maître d’oeuvre)

- la composition de l’équipe change en cours de route,

la question des frontières, des limites de responsabilité, de la confidentialité et de la loyauté se pose, tous les jours.

Procurer à l’équipe une structure organisationnelle et des règles de fonctionnement remises à jour en permanence est une tâche essentielle du chef de projet.

La productivité de l’équipe en dépend.



Question d’imprévisibilité


Imaginez un raid maritime dont les escales seraient inventées au fil du voyage.

Les contrats de projet, feuilles de mission, sont toujours plus complexes et moins opportuns à graver dans le marbre que les « job descriptions » de postes de management.

Peu de choses sont connues au moment du démarrage du projet, car c’est justement parce que le problème est unique et qu’il va falloir innover, coopérer, créer quelque chose de neuf, qu’on choisit une organisation de type « projet » .

Alors, n’hésitez pas tout au long du projet à revisiter la feuille de mission, à vérifier la pertinence résiduelle des hypothèses de départ, à renégocier les moyens et les méthodes.

A chaque escale, reposez vous les questions : ai-je le bon jeu de voiles, le bon équipage, les bonnes cartes ?

EXEMPLE

Le Prétexte : un voilier pour rêver et apprendre à travailler
Déjà un an de travail, et trente jeunes sur les rails...


Isabelle Cziffra
Le Courrier de Mantes


— L’Association des Compagnons d’Ile-de-France travaille depuis un an sur le chantier insertion du Prétexte.

Vendredi, un an après l’arrivée du Prétexte rue des Abattoirs à Mantes-la-Jolie, l’Association des Compagnons d’Ile-de-France (ACIF) a ouvert les portes du chantier d’insertion. Coque poncée et repeinte, restauration des pièces de menuiserie : le voilier a changé d’allure.

Depuis un an, deux équipes de quinze jeunes se sont déjà succédé sur le pont du Prétexte. Le voilier, en cale sèche dans la cour du 4 rue des Abattoirs, sert de chantier d’insertion. Experts en rénovation, les compagnons d’Ile-de-France assurent l’encadrement technique. « Le premier groupe de jeunes a procédé au démontage de l’accastillage, des couchettes, explique Stéphane Dupouy, responsable du chantier. Et ils ont poncé la coque. La seconde équipe vient d’achever la peinture bleue, en dessous de la ligne de flottaison, la plomberie, l’installation des placards, la peinture intérieure et la tapisserie. Il reste encore six mois de travail pour le troisième groupe : il faudra remonter l’accastillage, recoller l’antidérapant du pont et faire l’électricité avant de pouvoir mettre le bateau en navigation ».

Agés de 16 à 24 ans, les jeunes ont été aiguillés vers le chantier par des structures comme la Misprom (Mission pour l’insertion socioprofessionnelle dans le Mantois). « Ça m’a changé de l’environnement habituel du quartier, explique Bakari, 19 ans, des Mureaux. J’ai poncé la coque et bouché les trous : je me souviendrai du travail que j’ai fait ici ».

Quel avenir après le chantier ?

Les compagnons ne se contentent pas d’inculquer des techniques, ils forment également les jeunes à la recherche d’emploi. Tous quittent le chantier avec un projet d’avenir, un CDI, CDD, un stage ou une formation. Bakari, lui, rêve d’apprendre le métier de styliste et de créer sa marque de vêtement, à l’instar de nombreux jeunes qui développent ce concept dans les quartiers.

Malgré le souhait des compagnons, le chantier d’insertion naval ne deviendra pas permanent. Il prendra fin dans six mois, après le passage de la troisième équipe. Le Prétexte, propriété de l’association Fil d’Ariane, partira en croisière. Le bateau restauré servira d’école de voile le long des côtes européennes.

Vendredi, Dominique Braye, président de la CAMY, a précisé que la communauté d’agglomération cherchait un lieu couvert pour développer les chantiers d’insertion. Une tâche devenue plus difficile depuis l’incendie des entrepôts Sulzer. Les missions de plein air devraient se multiplier : la CAMY confiera une partie des réalisations de la ceinture verte à des chantiers d’insertion.

Voilier-coach, genèse d'une idée

L'idée d'utiliser le voilier comme outil dans le travail de coaching a d’abord pris forme à Auckland, en octobre 2002, sur un des deux anciens voiliers de la coupe de l’America, reconfigurés pour proposer des sorties en mer et régates à la portée de tous.

J’avais la chance d’avoir un embarquement pour la « Ladies Match Race », la régate des dames, et j’ai été sidérée par le potentiel de travail sur les équipes qui se dévoilait devant mes yeux.
Un équipage professionnel réduit était présent pour assurer la sécurité et surtout en faire le moins possible. Nous avions un contrat de régate simple mais clairement formulé.
Qu’allions-nous en faire ?
Quel système d’autorité s’installerait ?
Quel type de leadership se manifesterait ?


Pas tout à fait seul maître à bord.

Mettons vos managers sur un bateau. Négocions avec eux un objectif (ambitieux) et un périmètre d’autorité (étendu) sur la marche du bateau, comme un contrat de travail. Voyons comment ils s’en sortent « pour de vrai » et en quoi cela représente ce qu’ils vivent au quotidien dans votre entreprise.

Quelle activité permet mieux que la voile de travailler sur le thème de l’autorité et de ses corollaires et périphériques : responsabilité, pouvoir, puissance, délégation, communication, contrôle, confiance, règles, reporting, etc. ?





Comment ça marche?

On établi un programme qui fait alterner les temps à terre et de courtes sorties en mer (1 à 3 heures).

D'abord on établit un "cap" , un objectif individuel ou collectif, qui servira de trame à l'ensemble du travail.

Pendant la sortie en mer, on laisse faire le bateau:
Le bateau à voile, c’est un petit espace, qui bouge, en interface avec des éléments naturels pas toujours coopérants (zut, y’a pas de vent !), ça ne marche qu’au moyen d’une vaste quantité de paramètres (comment s’appelle cette ficelle bleue, là, la troisième à gauche ?), et de toutes façons, ça ne fait pas exactement ce qu’on veut (la marée monte ou descend, à cette heure-ci ?).

Au retour à terre, on met des mots sur ce qui s'est passé, ce que cela apporte à l'objectif visé et ce qu'on va tester ou approfondir à la sortie en mer suivante.


Les p'tits bateaux sont-ils des coachs?

Ni promenade en mer, ni école de voile: pas de destination imposée, pas de jargon technique, pas d’assignation des tâches… quoi qu’il se passe, cela fera matière à réfléchir.

Résultat: une navigation étonnante de qualité, même par vent fort et mer formée, et même avec un équipage à majorité novice.

Le voilier, lui, fait son travail de coach: il questionne, met en déséquilibre, bouscule un peu parfois, offre des opportunités, des situations nouvelles. Le voilier secoue la complexité pour en faire ressortir ce qu'il y a d'essentiel. Il s’adresse directement au centre de la personne, sans passer par la maîtrise verbale. La récolte est si abondante que pour certains, le travail continuera sur plusieurs semaines.

Les parallèles, équipage // équipe, skipper // leader, météo // marché, voilure // investissement , etc… sont innombrables. La préoccupation du coach devient alors qu’en une ou deux sorties en mer, on récolte plus de matière à « travailler » qu’on s’y attendait. Ce qui est plutôt une préoccupation bienvenue, avouons-le.
On peut alors choisir, avec le client, de doser la proportion de temps passé à terre (pour l’exploitation) et en mer (pour la consolidation des acquis).