Les vérités qui dérangent
Si l'école « va mal », ce n'est pas à cause des blocages du système.
Que doit-on mettre au centre du système scolaire ? L'élève ou les savoirs ? Il y a quelques semaines, la question s'étalait à la une des quotidiens. Aujourd'hui, les profs en colère occupent toute la place et leurs revendications ont confisqué le grand débat sur l'éducation que souhaitait organiser le ministère. Pourtant, les questions sur l'école ne manquent pas : où finit l'intérêt des élèves et où commence la démagogie, comment restaurer l'autorité des savoirs, comment organiser un service public d'éducation plus efficace, tant sur le plan pédagogique qu'économique ?
Aujourd'hui, la « Lettre à tous ceux qui aiment l'école », qui avait au moins le mérite de poser ces questions, est piétinée ou jetée dans les manifestations, et le slogan « Ferry démission » s'est substitué à toute réflexion. Les enseignants, la main sur le coeur, jurent défendre le service public. Mais ils menacent les examens nationaux, comme à Périgueux, le fief de Xavier Darcos, où les épreuves facultatives du baccalauréat n'ont pu avoir lieu. Pendant ce temps, la nécrose du système scolaire s'aggrave : les élèves en difficulté s'ennuient en cours, empêchent « ceux qui aiment l'école » de progresser, avant de décrocher et de gonfler les chiffres du chômage ou de la délinquance.
Luc Ferry a été choisi pour en finir avec ces maux bien connus. Fraîchement nommé, il avait défini sa méthode : choisir des priorités en nombre limité et s'y tenir. Il avait promis qu'il n'y aurait pas de grand soir, mais une immense ambition : réduire la fracture scolaire.
Où en est-on douze mois après ? La crise est grave. Le dialogue semble rompu. Certaines réformes sont bloquées, en attendant des jours meilleurs, d'autres sont déjà en cours et, selon le ministère, portent leurs fruits. Ce bilan, contrasté, permet de faire le point sur la seule question qui compte : à l'école, quoi de neuf pour nos enfants ?
1 L'école n'est plus un ascenseur social.
Chaque discours de Luc Ferry commence toujours par rappeler cette évidence : le budget que la nation consacre à l'éducation a crû ces vingt dernières années de 25 %. Mais les performances du système ne sont pas à la hauteur de ces efforts : depuis les années 90, l'accès au bac marque le pas, le nombre de jeunes qui sortent de l'école sans qualification ne baisse plus. Le taux de chômage des moins de 25 ans est le plus élevé des pays développés. Le premier ministère de France, qui absorbe 23 % des dépenses de l'Etat, veut mieux utiliser ses ressources, et donc mieux cibler les besoins. Un exemple ? La maternelle dès 2 ans. Cette scolarisation précoce avait été conçue pour préparer l'entrée en primaire des enfants issus de familles défavorisées. Pas pour permettre aux cadres supérieurs de faire des économies de nourrice ! Pour les enseignants, ce souci de gestion montre que l'éducation n'est plus la priorité nationale de ce gouvernement.
2 - L'illettrisme caracole à la sortie du primaire.
Malgré les querelles de chiffres, le diagnostic est irréfutable : entre 15 et 20 % des élèves arrivent en 6e sans maîtriser suffisamment l'écrit. Pour ces gamins, tout est déjà trop tard : exclus parfois depuis le CP, ils sont dégoûtés de l'école et souffrent de lacunes qu'aucune mesure de soutien ne peut plus combler. En énonçant ces données, Luc Ferry met le doigt là où ça fait mal : le primaire.
Mesure essentielle du dispositif contre l'illettrisme : des classes dédoublées en CP, où une dizaine d'élèves repérés comme souffrant de difficultés reprennent le b.a.-ba, tant qu'il en est temps. D'abord expérimentale, la mesure est étendue : 500 classes de CP seront concernées à la rentrée, auxquelles il faut ajouter le dédoublement partiel, à raison de huit à neuf heures par semaine, de 1 500 autres. Cela représente 20 000 élèves.
Autre mesure qui concerne tous les élèves : affirmer et inscrire dans les programmes le caractère fondamental de la maîtrise de l'écrit. C'est pourquoi le maître doit faire lire et écrire les enfants au moins deux heures et demie chaque jour.
3 Le naufrage du collège unique.
L'enterrement sans tambour ni trompette du collège unique est la réussite majeure de Luc Ferry. Dès son arrivée, le ministre remet en cause l'objectif irréaliste de mener 80 % d'une classe d'âge au bac. Ouf ! murmurent les enseignants, qui, depuis longtemps, peinent à accueillir dans leur classe des élèves manifestement peu faits pour les études. Nouvel objectif non moins ambitieux : 100 % des élèves doivent obtenir une qualification. Actuellement, ils sont 8 à 9 % qui, après douze ans minimum passés devant le tableau noir, sortent sans l'ombre d'un métier dans les mains. Pour eux, Luc Ferry développe les classes en alternance, où, dès la 4e, ils peuvent, quelques jours par semaine, découvrir des métiers en lycée professionnel, ou même en entreprise. A la rentrée prochaine, plus de 20 000 collégiens bénéficieront de ce dispositif.
La mesure bouscule les tabous. Habilement, elle n'est pas imposée nationalement, mais une grande marge de manoeuvre est laissée aux établissements. Luc Ferry le sait : les enseignants sont preneurs. L'abandon du collège unique passe comme une lettre à la poste.
4 Violence : des silences pudiques.
L'école, depuis longtemps, n'est plus un sanctuaire. Xavier Darcos, chargé plus spécialement du dossier de la sécurité, estime que le logiciel de signalement des faits graves mis en place par Jack Lang ne reflète qu'imparfaitement la réalité : trop de proviseurs et de principaux, soucieux de la réputation de leur établissement, répugnent à signaler les exactions commises. Selon lui, c'est une trop grande compréhension, voire le laxisme, qui s'est instaurée dans les classes. L'heure est à la « tolérance zéro ».
Les mesures prises sont spectaculaires, mais en réalité s'inspirent de ce qui se fait déjà sur le terrain, comme ces « classes d'exclusion-inclusion » où l'on accueille durant quelques jours les fauteurs de troubles ou les absentéistes chroniques : elles évitent de laisser les enfants, souvent déjà en voie de déscolarisation, livrés à eux-mêmes. Mieux, elles les remettent sur les rails. De l'avis de Colette Cassini, principale d'un collège particulièrement difficile à Evry, ce dispositif a permis une diminution sensible des conseils de discipline. Ceux-ci ont par ailleurs été modifiés : auparavant siégeaient dans ces conseils, chargés de juger les manquements les plus graves, 11 membres, dont 6 représentants de l'équipe éducative. Aujourd'hui, les responsables éducatifs sont plus largement majoritaires. Cette mesure se veut symbolique : il s'agit de restaurer l'autorité de l'institution. Au cabinet de Xavier Darcos, on constate qu'en un an les chiffres de la violence scolaire ont diminué de 10 %.
5Aides-éducateurs : les profs réclament ceux qu'ils rejetaient.
On ne peut espérer réduire la violence scolaire si l'on supprime ceux qui, dans les écoles, surveillent les élèves. Un constat de bon sens, mais qui relève pourtant d'un amalgame entre les surveillants et les aides-éducateurs, emplois-jeunes créés par Lionel Jospin. Ces contrats prévus pour cinq ans arrivent à expiration. Ils ne seront pas renouvelés pourtant. A entendre les enseignants, les établissements ne peuvent plus tourner sans ces 20 000 jeunes, qui s'occupaient de la bibliothèque, assuraient des heures de soutien et surveillaient la récré. Il est bon toutefois de se souvenir qu'il y a cinq ans ils n'avaient pas de mots assez durs pour dénoncer l'intrusion de ces non-pédagogues dans l'école. Pour remplacer surveillants et aides-éducateurs, Luc Ferry crée un nouveau et unique statut : 16 000 assistants d'éducation relèveront tous les surveillants et la moitié des emplois-jeunes. « Le compte n'y est pas », clament les enseignants. Vérification faite dans quelques établissements difficiles de banlieue parisienne : à la rentrée prochaine, il y aura autant de jeunes pour surveiller les élèves.
6 - Le chiffon rouge de la décentralisation.
Education nationale, combien de divisions ? A 10 000 employés près, nul ne le sait. Mais Luc Ferry estime à 1,5 million le nombre de personnes travaillant pour son grand ministère, qui comprend également la jeunesse. 110 000 fonctionnaires, soit 7 % de cette énorme masse, vont être transférés aux régions. Ouvriers d'entretien, médecins scolaires, assistantes sociales et conseillers d'orientation-psychologues (les copsy) dépendront désormais de la fonction publique territoriale. Les personnels concernés ont appris leur transfert par une simple lettre : une erreur de communication qui se paie aujourd'hui au prix fort. Car, sur le terrain, ce principal du Val-d'Oise remet les pendules à l'heure : le médecin scolaire ? « Il est présent un jeudi par mois, soit dix jours par an. » L'assistante sociale ? « Elle assure normalement neuf heures par semaine. Mais, faute de candidate, nous n'en avons pas vu depuis trois ans. » Le copsy ? « Il est en grève depuis trois mois ! En temps normal, il est là deux heures par semaine et reçoit uniquement sur rendez-vous. » Conclusion ? « Franchement, ça ne peut pas être pis. »
7 - Pourquoi la question des retraites fait mal.
Luc Ferry n'a pas son pareil pour diagnostiquer la crise du système éducatif, et donc le malaise des profs. Il le sait : quiconque entre aujourd'hui dans ce métier est d'emblée accablé. La perspective d'être confronté à une trentaine de gamins, au mieux turbulents, au pis hostiles, pendant quarante ans est inimaginable. La question des retraites est donc particulièrement explosive, malgré les vacances, malgré une espérance de vie largement supérieure aux autres métiers reconnus pénibles. Plus que les mesures techniques de décentralisation, ou de statut des surveillants, c'est bien ce malaise que traduisent les manifestations. Mille signes le démontrent : l'imprécision des revendications des enseignants, qui accusent le ministère de vouloir « démanteler » le service public ou, pis, de le « privatiser » ! Voilà pourquoi, en première ligne, on trouve les jeunes profs, nommés en ZEP, à l'épicentre de la fracture sociale. Voilà sans doute pourquoi on y voit aussi les anciens, qui ont essuyé les plâtres de trente-cinq ans de réformes, ont subi la massification et ont vu la considération dont ils jouissaient à leurs débuts lentement se dégrader.
C'est sur ce terrain que Luc Ferry veut contre-attaquer. Il doit proposer des mesures de revalorisation du métier. Début et fin de carrière, passerelles vers d'autres métiers de la fonction publique, formation des maîtres : tout devrait changer. Si les profs qui réclament sa tête lui en laissent le temps...
De plus en plus de profs
Le récent rapport de la Cour des comptes sur la gestion du système éducatif soulignait ce fait têtu : pendant que le nombre de profs augmente, la population scolaire est en baisse. Dans le secondaire, on prévoit qu'il y aura 230 000 élèves de moins d'ici à 2010. Dans le primaire, en revanche, en raison du mini- « baby-boom » de ces dernières années, les effectifs des maternelles et du primaire devraient augmenter de 180 000 enfants sur les dix ans à venir. Cela explique en partie pourquoi les enseignants du premier degré sont en première ligne dans le mouvement qui secoue actuellement l'Education nationale. Mais cela éclaire aussi les raisons pour lesquelles Xavier Darcos s'interroge tout haut sur l'opportunité d'avancer l'âge de la scolarité. Un tiers des enfants de 2 ans sont actuellement en maternelle, alors qu'aucune étude ne démontre que cette scolarisation précoce ait le moindre effet sur leurs résultats futurs.
De la même manière, l'objectif des politiques éducatives a toujours été de diminuer le nombre d'élèves par classe : il est ainsi en moyenne de 23 dans le primaire, de 24 au collège et de 26 au lycée. Pourtant, la Cour des comptes souligne que l'efficacité de cette réduction de la taille des classes n'est pas non plus démontrée.
Les privilégiés du secondaire
Le budget de l'Education nationale est le premier budget de l'Etat, et depuis vingt ans, il n'a cessé d'augmenter. Il représente aujourd'hui 23 % des dépenses de l'Etat. Ce n'est pas le cas chez la plupart de nos voisins, qui ont tenu compte de la baisse démographique et diminué la part de l'éducation dans leur budget national. Surtout, chaque pays a fait des choix pour utiliser au mieux cette dépense. Les chiffres montrent que la France a choisi d'investir dans le secondaire. Au détriment du supérieur, notoirement sous-doté : un étudiant à l'université « coûte » 33 800 euros, un investissement nettement inférieur à la moyenne dans les pays de l'OCDE, où il atteint 35 100 euros. Le primaire est également moins pourvu que le secondaire : par exemple, beaucoup d'heures de soutien ont été distribuées dans les collèges pour contrer l'échec scolaire, sans que l'on se pose la question de savoir si la réussite scolaire ne se joue pas dès le primaire. Mais il est vrai que les professeurs du secondaire sont majoritaires dans le corps enseignant. Ils ont donc pu peser de tout leur poids pour réclamer « des moyens ».
50 % d'échec en début d'études supérieures
Les deux tiers des jeunes Français accèdent aujourd'hui au baccalauréat. C'est un bouleversement majeur, à l'origine de bien des difficultés actuelles. Car cette explosion des effectifs du secondaire s'est faite sans que l'on remette en question le contenu des enseignements. Une bonne partie du malaise des profs vient de là. Celui de l'université aussi : les taux d'échec dans le premier cycle de l'enseignement supérieur sont de 50 %. Pis ! La démocratisation du secondaire est un trompe-l'oeil : le taux d'accès des classes populaires aux grandes écoles reste dérisoire. Un échec mal vécu par un corps enseignant viscéralement attaché à la notion d'égalité.
Les Français, avant-derniers de la classe européenne
11,6 % des jeunes de 17 ans convoqués à la journée d'appel de préparation à la défense ont des difficultés de compréhension d'un texte écrit. C'est un échec majeur de notre école. Non que l'école d'hier ait fait beaucoup mieux. Mais, à la différence notable de ce qui était autrefois acceptable, aujourd'hui, toute insertion sociale est interdite à ceux qui ne maîtrisent pas suffisamment l'écrit. Tous les pays de l'OCDE connaissent ce problème, mais à des degrés divers. Une récente évaluation internationale était assez cruelle pour les jeunes Français : quatre ans après l'entrée des jeunes enfants à l'école, leurs résultats sont inférieurs à ceux qu'obtiennent les élèves de même âge dans les autres pays européens. Les Grecs sont les seuls à être plus mauvais, permettant donc d'éviter aux jeunes Français la place de derniers de la classe européenne. Les efforts de la nation pour son école sont décidément mal récompensés
Si l'école « va mal », ce n'est pas à cause des blocages du système.
Que doit-on mettre au centre du système scolaire ? L'élève ou les savoirs ? Il y a quelques semaines, la question s'étalait à la une des quotidiens. Aujourd'hui, les profs en colère occupent toute la place et leurs revendications ont confisqué le grand débat sur l'éducation que souhaitait organiser le ministère. Pourtant, les questions sur l'école ne manquent pas : où finit l'intérêt des élèves et où commence la démagogie, comment restaurer l'autorité des savoirs, comment organiser un service public d'éducation plus efficace, tant sur le plan pédagogique qu'économique ?
Aujourd'hui, la « Lettre à tous ceux qui aiment l'école », qui avait au moins le mérite de poser ces questions, est piétinée ou jetée dans les manifestations, et le slogan « Ferry démission » s'est substitué à toute réflexion. Les enseignants, la main sur le coeur, jurent défendre le service public. Mais ils menacent les examens nationaux, comme à Périgueux, le fief de Xavier Darcos, où les épreuves facultatives du baccalauréat n'ont pu avoir lieu. Pendant ce temps, la nécrose du système scolaire s'aggrave : les élèves en difficulté s'ennuient en cours, empêchent « ceux qui aiment l'école » de progresser, avant de décrocher et de gonfler les chiffres du chômage ou de la délinquance.
Luc Ferry a été choisi pour en finir avec ces maux bien connus. Fraîchement nommé, il avait défini sa méthode : choisir des priorités en nombre limité et s'y tenir. Il avait promis qu'il n'y aurait pas de grand soir, mais une immense ambition : réduire la fracture scolaire.
Où en est-on douze mois après ? La crise est grave. Le dialogue semble rompu. Certaines réformes sont bloquées, en attendant des jours meilleurs, d'autres sont déjà en cours et, selon le ministère, portent leurs fruits. Ce bilan, contrasté, permet de faire le point sur la seule question qui compte : à l'école, quoi de neuf pour nos enfants ?
1 L'école n'est plus un ascenseur social.
Chaque discours de Luc Ferry commence toujours par rappeler cette évidence : le budget que la nation consacre à l'éducation a crû ces vingt dernières années de 25 %. Mais les performances du système ne sont pas à la hauteur de ces efforts : depuis les années 90, l'accès au bac marque le pas, le nombre de jeunes qui sortent de l'école sans qualification ne baisse plus. Le taux de chômage des moins de 25 ans est le plus élevé des pays développés. Le premier ministère de France, qui absorbe 23 % des dépenses de l'Etat, veut mieux utiliser ses ressources, et donc mieux cibler les besoins. Un exemple ? La maternelle dès 2 ans. Cette scolarisation précoce avait été conçue pour préparer l'entrée en primaire des enfants issus de familles défavorisées. Pas pour permettre aux cadres supérieurs de faire des économies de nourrice ! Pour les enseignants, ce souci de gestion montre que l'éducation n'est plus la priorité nationale de ce gouvernement.
2 - L'illettrisme caracole à la sortie du primaire.
Malgré les querelles de chiffres, le diagnostic est irréfutable : entre 15 et 20 % des élèves arrivent en 6e sans maîtriser suffisamment l'écrit. Pour ces gamins, tout est déjà trop tard : exclus parfois depuis le CP, ils sont dégoûtés de l'école et souffrent de lacunes qu'aucune mesure de soutien ne peut plus combler. En énonçant ces données, Luc Ferry met le doigt là où ça fait mal : le primaire.
Mesure essentielle du dispositif contre l'illettrisme : des classes dédoublées en CP, où une dizaine d'élèves repérés comme souffrant de difficultés reprennent le b.a.-ba, tant qu'il en est temps. D'abord expérimentale, la mesure est étendue : 500 classes de CP seront concernées à la rentrée, auxquelles il faut ajouter le dédoublement partiel, à raison de huit à neuf heures par semaine, de 1 500 autres. Cela représente 20 000 élèves.
Autre mesure qui concerne tous les élèves : affirmer et inscrire dans les programmes le caractère fondamental de la maîtrise de l'écrit. C'est pourquoi le maître doit faire lire et écrire les enfants au moins deux heures et demie chaque jour.
3 Le naufrage du collège unique.
L'enterrement sans tambour ni trompette du collège unique est la réussite majeure de Luc Ferry. Dès son arrivée, le ministre remet en cause l'objectif irréaliste de mener 80 % d'une classe d'âge au bac. Ouf ! murmurent les enseignants, qui, depuis longtemps, peinent à accueillir dans leur classe des élèves manifestement peu faits pour les études. Nouvel objectif non moins ambitieux : 100 % des élèves doivent obtenir une qualification. Actuellement, ils sont 8 à 9 % qui, après douze ans minimum passés devant le tableau noir, sortent sans l'ombre d'un métier dans les mains. Pour eux, Luc Ferry développe les classes en alternance, où, dès la 4e, ils peuvent, quelques jours par semaine, découvrir des métiers en lycée professionnel, ou même en entreprise. A la rentrée prochaine, plus de 20 000 collégiens bénéficieront de ce dispositif.
La mesure bouscule les tabous. Habilement, elle n'est pas imposée nationalement, mais une grande marge de manoeuvre est laissée aux établissements. Luc Ferry le sait : les enseignants sont preneurs. L'abandon du collège unique passe comme une lettre à la poste.
4 Violence : des silences pudiques.
L'école, depuis longtemps, n'est plus un sanctuaire. Xavier Darcos, chargé plus spécialement du dossier de la sécurité, estime que le logiciel de signalement des faits graves mis en place par Jack Lang ne reflète qu'imparfaitement la réalité : trop de proviseurs et de principaux, soucieux de la réputation de leur établissement, répugnent à signaler les exactions commises. Selon lui, c'est une trop grande compréhension, voire le laxisme, qui s'est instaurée dans les classes. L'heure est à la « tolérance zéro ».
Les mesures prises sont spectaculaires, mais en réalité s'inspirent de ce qui se fait déjà sur le terrain, comme ces « classes d'exclusion-inclusion » où l'on accueille durant quelques jours les fauteurs de troubles ou les absentéistes chroniques : elles évitent de laisser les enfants, souvent déjà en voie de déscolarisation, livrés à eux-mêmes. Mieux, elles les remettent sur les rails. De l'avis de Colette Cassini, principale d'un collège particulièrement difficile à Evry, ce dispositif a permis une diminution sensible des conseils de discipline. Ceux-ci ont par ailleurs été modifiés : auparavant siégeaient dans ces conseils, chargés de juger les manquements les plus graves, 11 membres, dont 6 représentants de l'équipe éducative. Aujourd'hui, les responsables éducatifs sont plus largement majoritaires. Cette mesure se veut symbolique : il s'agit de restaurer l'autorité de l'institution. Au cabinet de Xavier Darcos, on constate qu'en un an les chiffres de la violence scolaire ont diminué de 10 %.
5Aides-éducateurs : les profs réclament ceux qu'ils rejetaient.
On ne peut espérer réduire la violence scolaire si l'on supprime ceux qui, dans les écoles, surveillent les élèves. Un constat de bon sens, mais qui relève pourtant d'un amalgame entre les surveillants et les aides-éducateurs, emplois-jeunes créés par Lionel Jospin. Ces contrats prévus pour cinq ans arrivent à expiration. Ils ne seront pas renouvelés pourtant. A entendre les enseignants, les établissements ne peuvent plus tourner sans ces 20 000 jeunes, qui s'occupaient de la bibliothèque, assuraient des heures de soutien et surveillaient la récré. Il est bon toutefois de se souvenir qu'il y a cinq ans ils n'avaient pas de mots assez durs pour dénoncer l'intrusion de ces non-pédagogues dans l'école. Pour remplacer surveillants et aides-éducateurs, Luc Ferry crée un nouveau et unique statut : 16 000 assistants d'éducation relèveront tous les surveillants et la moitié des emplois-jeunes. « Le compte n'y est pas », clament les enseignants. Vérification faite dans quelques établissements difficiles de banlieue parisienne : à la rentrée prochaine, il y aura autant de jeunes pour surveiller les élèves.
6 - Le chiffon rouge de la décentralisation.
Education nationale, combien de divisions ? A 10 000 employés près, nul ne le sait. Mais Luc Ferry estime à 1,5 million le nombre de personnes travaillant pour son grand ministère, qui comprend également la jeunesse. 110 000 fonctionnaires, soit 7 % de cette énorme masse, vont être transférés aux régions. Ouvriers d'entretien, médecins scolaires, assistantes sociales et conseillers d'orientation-psychologues (les copsy) dépendront désormais de la fonction publique territoriale. Les personnels concernés ont appris leur transfert par une simple lettre : une erreur de communication qui se paie aujourd'hui au prix fort. Car, sur le terrain, ce principal du Val-d'Oise remet les pendules à l'heure : le médecin scolaire ? « Il est présent un jeudi par mois, soit dix jours par an. » L'assistante sociale ? « Elle assure normalement neuf heures par semaine. Mais, faute de candidate, nous n'en avons pas vu depuis trois ans. » Le copsy ? « Il est en grève depuis trois mois ! En temps normal, il est là deux heures par semaine et reçoit uniquement sur rendez-vous. » Conclusion ? « Franchement, ça ne peut pas être pis. »
7 - Pourquoi la question des retraites fait mal.
Luc Ferry n'a pas son pareil pour diagnostiquer la crise du système éducatif, et donc le malaise des profs. Il le sait : quiconque entre aujourd'hui dans ce métier est d'emblée accablé. La perspective d'être confronté à une trentaine de gamins, au mieux turbulents, au pis hostiles, pendant quarante ans est inimaginable. La question des retraites est donc particulièrement explosive, malgré les vacances, malgré une espérance de vie largement supérieure aux autres métiers reconnus pénibles. Plus que les mesures techniques de décentralisation, ou de statut des surveillants, c'est bien ce malaise que traduisent les manifestations. Mille signes le démontrent : l'imprécision des revendications des enseignants, qui accusent le ministère de vouloir « démanteler » le service public ou, pis, de le « privatiser » ! Voilà pourquoi, en première ligne, on trouve les jeunes profs, nommés en ZEP, à l'épicentre de la fracture sociale. Voilà sans doute pourquoi on y voit aussi les anciens, qui ont essuyé les plâtres de trente-cinq ans de réformes, ont subi la massification et ont vu la considération dont ils jouissaient à leurs débuts lentement se dégrader.
C'est sur ce terrain que Luc Ferry veut contre-attaquer. Il doit proposer des mesures de revalorisation du métier. Début et fin de carrière, passerelles vers d'autres métiers de la fonction publique, formation des maîtres : tout devrait changer. Si les profs qui réclament sa tête lui en laissent le temps...
De plus en plus de profs
Le récent rapport de la Cour des comptes sur la gestion du système éducatif soulignait ce fait têtu : pendant que le nombre de profs augmente, la population scolaire est en baisse. Dans le secondaire, on prévoit qu'il y aura 230 000 élèves de moins d'ici à 2010. Dans le primaire, en revanche, en raison du mini- « baby-boom » de ces dernières années, les effectifs des maternelles et du primaire devraient augmenter de 180 000 enfants sur les dix ans à venir. Cela explique en partie pourquoi les enseignants du premier degré sont en première ligne dans le mouvement qui secoue actuellement l'Education nationale. Mais cela éclaire aussi les raisons pour lesquelles Xavier Darcos s'interroge tout haut sur l'opportunité d'avancer l'âge de la scolarité. Un tiers des enfants de 2 ans sont actuellement en maternelle, alors qu'aucune étude ne démontre que cette scolarisation précoce ait le moindre effet sur leurs résultats futurs.
De la même manière, l'objectif des politiques éducatives a toujours été de diminuer le nombre d'élèves par classe : il est ainsi en moyenne de 23 dans le primaire, de 24 au collège et de 26 au lycée. Pourtant, la Cour des comptes souligne que l'efficacité de cette réduction de la taille des classes n'est pas non plus démontrée.
Les privilégiés du secondaire
Le budget de l'Education nationale est le premier budget de l'Etat, et depuis vingt ans, il n'a cessé d'augmenter. Il représente aujourd'hui 23 % des dépenses de l'Etat. Ce n'est pas le cas chez la plupart de nos voisins, qui ont tenu compte de la baisse démographique et diminué la part de l'éducation dans leur budget national. Surtout, chaque pays a fait des choix pour utiliser au mieux cette dépense. Les chiffres montrent que la France a choisi d'investir dans le secondaire. Au détriment du supérieur, notoirement sous-doté : un étudiant à l'université « coûte » 33 800 euros, un investissement nettement inférieur à la moyenne dans les pays de l'OCDE, où il atteint 35 100 euros. Le primaire est également moins pourvu que le secondaire : par exemple, beaucoup d'heures de soutien ont été distribuées dans les collèges pour contrer l'échec scolaire, sans que l'on se pose la question de savoir si la réussite scolaire ne se joue pas dès le primaire. Mais il est vrai que les professeurs du secondaire sont majoritaires dans le corps enseignant. Ils ont donc pu peser de tout leur poids pour réclamer « des moyens ».
50 % d'échec en début d'études supérieures
Les deux tiers des jeunes Français accèdent aujourd'hui au baccalauréat. C'est un bouleversement majeur, à l'origine de bien des difficultés actuelles. Car cette explosion des effectifs du secondaire s'est faite sans que l'on remette en question le contenu des enseignements. Une bonne partie du malaise des profs vient de là. Celui de l'université aussi : les taux d'échec dans le premier cycle de l'enseignement supérieur sont de 50 %. Pis ! La démocratisation du secondaire est un trompe-l'oeil : le taux d'accès des classes populaires aux grandes écoles reste dérisoire. Un échec mal vécu par un corps enseignant viscéralement attaché à la notion d'égalité.
Les Français, avant-derniers de la classe européenne
11,6 % des jeunes de 17 ans convoqués à la journée d'appel de préparation à la défense ont des difficultés de compréhension d'un texte écrit. C'est un échec majeur de notre école. Non que l'école d'hier ait fait beaucoup mieux. Mais, à la différence notable de ce qui était autrefois acceptable, aujourd'hui, toute insertion sociale est interdite à ceux qui ne maîtrisent pas suffisamment l'écrit. Tous les pays de l'OCDE connaissent ce problème, mais à des degrés divers. Une récente évaluation internationale était assez cruelle pour les jeunes Français : quatre ans après l'entrée des jeunes enfants à l'école, leurs résultats sont inférieurs à ceux qu'obtiennent les élèves de même âge dans les autres pays européens. Les Grecs sont les seuls à être plus mauvais, permettant donc d'éviter aux jeunes Français la place de derniers de la classe européenne. Les efforts de la nation pour son école sont décidément mal récompensés
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