mercredi 30 janvier 2008

GITANA 13 : LE HORN CE WEEK-END





Déjà 14 jours que Lionel Lemonchois et l´équipage de Gitana 13 ont salué la Statue de la Liberté pour mettre le cap vers San Francisco : un record mythique jamais tenté à ce jour à la barre d´un maxi-multicoques. Alors que plus de 6 500 milles ont déjà coulé sous les coques du catamaran de 33 mètres armé par le Baron Benjamin de Rothschild, les hommes du Gitana Team longent actuellement les côtes argentines et naviguaient ce matin à la latitude des Quarantièmes rugissants.

Depuis leur passage de l’équateur, mercredi dernier, Lionel Lemonchois et ses neuf équipiers ont du faire preuve de sang-froid et d’opiniâtreté. Car la semaine qui vient de s’écouler s’est jouée sur « un air d’accordéon » : zones de calmes, puis de grains, dépressions orageuses venant jouer les trouble-fêtes sur la route, pression de l’Anticyclone de Sainte-Hélène … c’est ainsi que pourraient se résumer ces journées de navigation le long des côtes brésiliennes. _Profitant désormais d’un flux anticyclonique soutenu, Gitana 13 file en direction du Cap Horn. Une descente de plus de 800 milles qui se fera à proximité des côtes argentines, comme l’expliquait Lionel Lemonchois : « un anticyclone positionné à la côte et situé dans notre sud, va nous obliger à du cabotage pour rejoindre la pointe de l’Amérique Latine. Nous devrions laisser les Malouines sur babord et emprunter le Détroit de Lemaire ». Des prévisions qui se vérifieront dans les prochains jours, puisque le passage du célèbre promontoire est toujours envisagé dans la journée de samedi, le 2 février.
La prudence est gage de longévité
« Avancer prudemment mais rapidement », c’est ainsi que Lionel Lemonchois entend mener la tentative de record de Gitana 13 entre New York et San Francisco. En marin avisé, le skipper du maxi-catamran sait combien un bateau en parfait état de marche est essentiel à la réussite d’un tel projet : « Des voiles, aux winchs en passant par la structure même de la plateforme, tout est régulièrement passé au crible pour une tenue impeccable du bateau. Sur une route longue, de près de 14 000 milles, être à la barre d’un bateau irréprochable est déjà un atout » précisait Lionel Lemonchois. Ainsi, à l’image de leur chef de file, les neuf marins du bord procèdent quotidiennement à l’entretien et aux vérifications d’usage.
Habitué de ces grands multicoques pour avoir participé et remporté deux fois le Trophée Jules Verne aux côtés de Bruno Peyron (2002 et 2005), Florent Chastel est l’un des trois N°1 du maxi-catamaran. Après deux semaines de mer, il livre ses impressions sur un bateau qu’il connaît bien (Gitana 13 étant l’ex-Orange I, ndlr) : « A bord, tout est vraiment nickel. Le bateau a été très bien amélioré et toutes les modifications faites par le Gitana Team apportent un réel plus à l’équilibre et à la performance. Les nouvelles voiles fabriquées sont parfaites et vont également dans ce sens.»
Pour l’histoire
L’afflux extraordinaire de population que provoque la découverte de l’Or en 1848, va propulser San Francisco du rang de village à celui de ville surpeuplée en un laps de temps très court. Face à une telle « poussée démographique », les prix des marchandises flambent et l’agglomération devient une destination extrêmement rentable pour tous armateurs qui y envoie la cargaison de son navire. En 1849, les voiliers habituellement dédiés au commerce du Thé, en provenance de l’Orient, sont ainsi réquisitionnés et affectés à cette nouvelle route. Bien que rapides, ces fleurons de la marine mettent plus de 150 jours pour rallier San Francisco au départ de New York. Pour assurer un gain maximum, il faut abaisser ces temps de traversées … Les chantiers navals de la Côte Est des Etats-Unis se mettent au travail. De là naîtront les clippers les plus performants de leur époque.

C'est en fin de matinée mercredi que Gitana 13 a débuté le franchissement de la dorsale de l'anticyclone au large de l'Argentine. Ce passage va prendre plusieurs heures car le vent est très faible (moins de 5 nds) dans l'axe de cette dorsale. Mais Lionel Lemonchois et son équipage sont obligés de passer par là pour rejoindre des conditions beaucoup plus favorables sur la façade sud-ouest cet anticyclone. En effet, dès que la dorsale sera franchie, les vents vont progressivement s'orienter au Nord puis Nord-Ouest mercredi soir en fraichissant à 20/25 nds.
Ainsi la nuit sera beaucoup plus rapide et permettra au maxi-catamaran de se porter à hauteur de la prochaine difficulté météo à négocier. Il s'agit d'une nouvelle dépression qui se forme actuellement sur le sud de l'Argentine qui va se décaller sur la trajectoire de Gitana 13 jeudi matin. La négociation de ce système déterminera l'approche finale de la pointe sud de la Terre de Feu."
_Sylvain Mondon_Météo-France

30/01/2008 - 14:53 - Un champ de baleines
Et en 10 minutes ce fut la guerre ! Hier mardi, lors de notre 13ème journée, nous avons vécu sur un rythme à quatre temps, passant de l’été à l’hiver, du calme à la « baston ». Au petit matin nous filions tranquille toutes voiles dehors, plus de toile en l’air ….. Nous sommes surpris par la douceur ambiante après une première nuit un peu fraîche depuis longtemps. Au large de Rio de la Plata, l’équipage prend une douche d’eau de mer dans le cockpit, avec 2 litres d’eau douce maxi pour se rincer, bien conscient que ce sera la dernière avant un petit moment… Une fois propre, il est grand temps d’aller rejoindre notre salle de sport pour un de nos enchaînements favoris, soit le remplacement de la trinquette de portant par celle dévolue au près, puis le tomber de gennaker au vent du solent à nouveau déroulé ! Avec les mises en sacs, les matossages, le temps a passé vite et a insidieusement changé, passant du bleu franc au gris-bleu.
La récompense de ce bel effort vient de souffles qui font jaillir l’eau de mer de toutes parts. Les baleines sont là, tous à vos jumelles ! Quelques dos aperçus et puis s’en vont.. et nous de constater qu’avec bonheur nous n’avons encore rien touché depuis le départ. On croise les doigts… A belle allure, nous négocions de mains de maîtres notre deuxième thalweg en moins de trois jours et, dans ce passage qui ponctue la franche rotation des vents, tout change, tout bascule en quelques milles. Le vent du sud, venant de l’antarctique, fait immédiatement chuter la température. Le bleu azur de la mer n’est plus que vert bouteille et l’horizon se voile d’une couche plus ou moins épaisse de brume due au contact de cet air froid avec une mer encore chaude.
Dans cet univers de mille nuances de gris qui pourrait nous faire croire à une navigation hivernale le long de nos bretonnes côtes, nous connaissons un de ces moments de pur bonheur, là où le bateau vole, léger comme un oiseau. Nulle part ailleurs on ne voudrait être… et puis, en un rien de temps, cette mécanique de rêve se brise, cassée par une houle de face qui vient saccager notre élan. Gitana 13 ne glisse plus, il cogne, rebondit, écrase de toute la puissance de ses 25 tonnes les vagues qui veulent entraver sa marche. Sans hésitation, nous laissons la mer gagner ce combat perdu d’avance, réduisant par deux notre vitesse sous peine de tout exploser. A l’heure où je tape ces lignes, cela ne s’est pas calmé. Sous un ris/trinquette, à 17/18 nœuds, nous continuons notre marche en avant dans un vrai vacarme, secoué comme jamais. Juste au dessus de moi, j’entends des cataractes tomber sur les trois hommes de quart. Le jour va se lever et la mer j’espère se montrera à nouveau bonne fille…
A demain
Nicolas Raynaud

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