lundi 14 janvier 2008

Soucis, galères et conditions homériques pour le sprint final




Au coeur de l'Océan Atlantique, loin par le travers des îles du Cap Vert, Francis Joyon se prépare à entrer dans le plus fort des vents alizéens qui soufflent du Nord Est depuis les rivages marocains. La nuit dernière s'est déroulée sereinement, sans autre embûche qu'un gros grain venu secouer IDEC en milieu de nuit. Francis Joyon, après 48 heures très difficiles passées à d'abord s'extraire du Pot au Noir puis à tenter de juguler un sérieux problème d'ancrage de son hauban tribord, a enfin pu souffler quelque peu et goûter un repos bien nécessaire. Avec le renforcement de l'alizé, c'est bien entendu l'état de la mer, plus "agressive" aux dires de Francis Joyon, qui va rendre la progression du trimaran plus pénible, avec les chocs violents face à la houle de plus en plus creuse. C'est aussi le stress qui va aller croissant à l'idée de savoir son mât fragilisé subir de nouvelles épreuves. L'opération de "ceinturage" de la partie blessée n'est en tous cas par à l'ordre de cette 52ème journée de mer qui débute. Un peu plus de 2 500 milles nautiques restent à parcourir, 2 500 pas de géant à la mesure d'IDEC, à l'image de Francis si solide dans l'adversité.

"C'est un peu galère"... lâchée laconiquement et sans émotion palpable, cette petite phrase prend, pour ceux qui connaissent Joyon, une résonance bien singulière, teintée de sous entendus et de pudeur, pour ne pas dire la violence et la difficulté des moments vécus cette nuit. Dans un alizé bien loin de son image d'Epinal, IDEC s'est durement fait secouer face à une mer très hachée, et sous une succession de grains. Francis s'est évertué, aux dépens de tout repos, à atténuer du mieux possible les "souffrances " du bateau, s"écartant de la route, renvoyant puis reprenant un ris, alternant foc de tempête et trinquette, jusqu'à la tant redoutée succession de "petites" casses, celles qui pourrissent la vie du marin, au terme de 23 000 milles et 52 jours de course. Loin là-bas au large de la Mauritanie, l'angoisse chevillée aux tripes de savoir son mât fragilisé, Joyon n'a pourtant en rien relâché la pression du record. Son tableau de marche est tout tracé dans son esprit, de la sortie du régime d'alizés à la transition des Açores, jusqu'au train des forts régimes de Sud sud Ouest qui le ramèneront, coûte que coûte, vers Brest et la maison...

Litanie des avaries
Une nouvelle avarie aura donc à nouveau perturbé la progression du trimaran géant IDEC cette nuit. C'est l'étai de trinquette qui a cette fois fait les frais des chocs répétés contre la houle. "La voile est partie dans tous les azimuts" raconte Francis, "Et les petites avaries se sont enchaînées, avec une poulie brisée qui m'a fait un trou dans le pont... Il m'a fallu ressortir la boîte à outils et la résine, réparer le pont, récupérer ma voile..." 27, 28 noeuds de vent au près et dans une mer dure ont ainsi toute la nuit méchamment chahuté IDEC. Avec le premier jour, la rotation du vent à l'Est s'est faite plus précise. Plus que jamais en mode "record", Francis renvoyait alors et dès les premiers signes de « mollissement » un ris puis sa trinquette en lieu et place du petit tourmentin. "Je ne peux pas encore trop "jouer" avec la trinquette avoue Francis, car le tambour d'enrouleur est brisé..." La litanie des avaries atteindrait probablement n'importe quel marin. Pas Francis. A chaque problème, sa solution, quel qu'en soit le prix en temps et en effort physique. "Je ne me suis guère reposé tant le bateau tapait".

Bandage autour du mât
Obnubilé par la fragilité de son mât, Francis reste concentré à sa trajectoire et la bonne synchronisation avec l'enchaînement des systèmes météos à venir. Ce 53ème jour de course devrait lui apporter un peu de répit avec une mer mieux ordonnée et un angle de vent plus favorable. Se profile à moins de 36 heures de ses étraves le coeur de l'anticyclone des Açores, qu'IDEC laissera sur tribord, afin d'entrer sans trop de transition dans un flux de Sud Sud Ouest synonyme d'empannage. Francis aura préalablement profité des calmes de la proximité du centre des hautes pressions pour effectuer une nouvelle escalade du mât ; "Je vais en profiter pour effectuer une dernière évaluation des mouvements de l'axe qui tient le hauban" explique-t-il. "Je pense écraser le filtrage au marteau afin de le "gripper" définitivement. Je sécuriserai ensuite l'ensemble par un "bandage" autour du mât. J'ai déjà passé une drisse en doublement du hauban tribord".

Des conditions homériques pour le sprint final
Ayant ainsi fait tout ce qui est en son pouvoir, Francis abordera sa dernière ligne droite, son dernier sprint que les conditions de vent fort, 40-45 noeuds, annoncent homériques, à la mesure d'un tour du monde en tout point unique, et que Francis tient plus que tout à clore en beauté.

UNE JOUNÉE SOUS HAUTE TENSION POUR FRANCIS JOYON MAIS IDEC EST DE NOUVEAU AU-DESSUS DES 400 MILLES PAR JOUR

Reste une trajectoire encore éloignée de la route directe, et des milles vers Brest très durement gagnés. Mais l'alizé doit prendre aujourd'hui une orientation plus franche à l'Est qui permettra à Francis Joyon de lofer enfin et d'améliorer on VMG (Velocity Made Good), soit le gain efficace vers son but. Tout cela a bien entendu un prix ; le prix de voir depuis 48 heures le trimaran sollicité par près de 24 000 milles de course taper toujours et encore dans la forte houle alizéenne, et le prix du stress engendré par cette épée de Damoclès suspendue plusieurs dizaines de mètres au-dessus du pont du trimaran. Prudent et au petit soin pour son mât blessé, Joyon s'attache à plus que jamais rester en phase avec l'évolution des systèmes météos qui préfigurent sa route du retour. D'ici 24 heures, il lui faudra négocier un crucial virement de bord sous l'anticyclone des Açores, gérer au mieux une zone de transition et attraper les flux d'Ouest qui le ramèneront à la maison. Aller vite, sous la menace, toujours, encore...

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