jeudi 17 avril 2008

« BANQUE POPULAIRE V ». NAISSANCE D’UN GÉANT




Lorsque les portes de l’immense hangar où « Banque Populaire V » est assemblé à Lorient s’ouvriront, ce géant des océans sera tout simplement le plus grand trimaran au monde.

Une coque centrale de 40 m, des flotteurs de 37 m, un mât de 47 m soit un peu plus que l’Arc de Triomphe ou que le phare de la Jument, ces chiffres laissent rêveur. Mais il n’y a pas eu de surenchère systématique pour faire dans le XXL : « Je ne me suis pas levé un matin en disant pour mes 40 ans, il faut que mon bateau fasse 40 mètres », plaisante Pascal Bidégorry. « Cette taille est le résultat d’une longue réflexion. On s’était donné une limite de poids de 24 tonnes en charge, au départ du Jules Verne, et une gamme d’efforts définie », ajoute Bidégorry.
Une aventure humaine

« A l’origine il n’était pas prévu qu’il soit aussi grand. C’est en concertation avec les architectes qu’on a évolué vers cette longueur de 40 m qui est la limite haute », ajoute Ronan Lucas, chef de projet chargé de coordonner les acteurs impliqués dans ce projet colossal. Donner naissance au plus grand multicoque au monde implique une grande rigueur dans les processus de fabrication et de contrôle.

Les mésaventures de « Groupama 3 », lors de sa récente tentative sur le Jules Verne, ont forcément été méditées. Elles ont incité l’équipe de Banque Populaire à revoir la copie, ou au moins certains calculs. Exemple, récemment, il a été décidé de renforcer une zone située sur le bordé extérieur de chaque flotteur entre les deux bras en remplaçant le nid d’abeille par de la mousse. Derrière la haute technologie, il y a la passion des hommes. « Ce bateau est peut-être plus une aventure humaine que technologique dans la mesure où on ne fait rien de trop compliqué par rapport à ce qui existe en matière de multicoque. La révolution réside plus dans le changement d’échelle. A cause de cette taille, on met le doigt dans un domaine où on ne s’est pas souvent aventuré », explique Pascal Bidégorry. Et c’est cette part d’inconnu que les concepteurs, le bureau d’études s’efforcent de maîtriser. Cette longueur impressionnante répond au souhait de disposer d’un bateau ayant une capacité à aller vite dans la mer formée. « Il est indispensable d’avoir un bateau performant pour gagner du temps sur la descente et la remontée de l’Atlantique. Mais on ne peut pas faire un tour du monde qu’avec 15 nœuds de vent. On reste persuadés que la capacité à garder une vitesse stabilisée et élevée même s’il y a de la mer sera un atout majeur. Il faut donc un bateau qui dans le Sud passe bien dans la mer et allonge la foulée », ajoute le skipper basque.
De sacrées émotions
Ce monstre de carbone sur lequel s’affairent statifieurs et techniciens est déjà impressionnant. Et il fait vibrer ceux qui auront le privilège de le mener sur tous les océans. « Déjà dans le chantier, on vit l’histoire intensément. Qu’est-ce que cela va être quand on va partir sur l’eau ? Cela nous promet de sacrées émotions en espérant qu’elles soient bonnes au final », conclut le Basque, forcément conscient du privilège d’être le capitaine de ce « Banque Populaire V ».
Gilbert Dréan


ENTRE DÉMESURE ET RAISON

La démesure des dimensions ne fait pas pour autant de Banque Populaire un bateau déraisonnable. Les rapports poids- puissance sont inférieurs à ceux des trimarans de 60 pieds qui portent des mâts de plus de 30 mètres.

Comparé à « Banque Populaire IV », ce géant sera proportionnellement moins toilé. Sa largeur limitée à 23 m (17,60 m pour le 60 pieds) modère relativement sa puissance. « On a allongé les coques mais en essayant de diminuer les efforts sur la structure. La philosophie du projet a été de concilier performance et sécurité », précise Ronan Lucas. Cette machine destinée à avaler 800 milles par jour et à tourner autour du monde en moins de 50 jours sera soumise à de rudes efforts et des contraintes énormes. Il y aura 80 tonnes de pression au pied du mât et les winches devront être capables d’encaisser des tensions de plus de 14 tonnes. Le mât immense portera une grand-voile de 450 m2 et le gennaker fera tout de même 600 m2. L’équipe de Pascal Bidégorry et le cabinet d’architectes VPLP, qui ont travaillé en étroite collaboration, ont mis un frein dans la course au gigantisme. « On aurait pu dessiner un trimaran de 45 ou 50 m mais nous tenions à rester dans des limites que nous maîtrisons. Nous avons construit « Géronimo » d’Olivier de Kersauson qui pèse 22 tonnes pour 34 m de long. Grâce à l’évolution des matériaux, ce bateau de 40 m sera dans le même ordre de poids », explique Vincent Lauriot Prévost. Les uns et les autres insistent sur le côté raisonné et maîtrisé du projet. Cette bête à records fera tout de même preuve d’une véritable audace technologique. Ce géant sera doté de foils courbes (350 kg pièce) et d’un mât basculant : « Ce sont des solutions qui ont déjà été testées sur d’autres bateaux. Banque Populaire V ne constitue pas une révolution mais une évolution. C’est l’aboutissement des connaissances acquises depuis une quinzaine d’années sur les trimarans de la classe Orma et les maxis multicoques », conclut l’architecte vannetais.


A L'ÉCOUTE
UN GÉANT ET DES CHIFFRES. 70 personnes sont intervenues dans la construction de ce géant. La réalisation des coques, flotteurs et mât représente 100.000 heures de travail. Six tonnes de carbone auront été utilisées pour les réaliser. BUDGET. Plus c’est grand, plus cela coûte. Entre les études et la construction, ce maxi-trimaran sera prêt à naviguer pour une dizaine
de millions d’euros. S’y ajoutera le budget de fonctionnement. MONTÉE EN PUISSANCE. L’équipe de Banque Populaire était de trois personnes à temps plein en 2004, plus le skipper Pascal Bidégorry. « La gestion était alors externalisée sur Paris. Aujourd’hui, l’équipe compte 21 personnes », précise Ronan Lucas, team manager. MISE À L’EAU. Compte tenu des modifications récemment décidées sur les flotteurs en raison du principe de précaution, la mise à l’eau initialement prévue en juillet sera décalée à la seconde quinzaine d’août.

ACTEURS MULTIPLES. Au niveau architectural, ce projet est piloté par Vincent Lauriot Prévost. C’est le chantier CDK Technologies, dirigé par Hubert Desjoyeaux, qui est le maître d’œuvre de ce géant. Les coques ont été construites à Cherbourg par le chantier JMV Industries. BUREAU D’ÉTUDES. Le responsable en est Kévin Escoffier (27 ans) un des fils du skipper malouin. Il est assisté d’Antoine Gautier (architecte), Philibert Chenais (plan de pont accastillage), Olivier Bordeau (responsable suivi composite), Gaël Bouilly (pièce mécanique). TRAÇABILITÉ. Jacques Le Berre, l’expert maritime brestois, a suivi la construction au plus près et réalisé une expertise composite de l’intégralité des pièces du trimaran mât, coque, appendices. Une sorte d’état zéro du bateau précieux en cas d’avarie. RECORD. Le Trophée Jules Verne est l’objectif prioritaire de cette équipe qui espère s’élancer autour du monde fin 2009. Auparavant, Pascal Bidégorry, entouré de 12 équipiers, testera son géant sur d’autres records (Atlantique Nord, Route de la Découverte, Méditerranée).


BANQUE POPULAIRE V EN BREF
Longueur : 40 m (131 pieds)
Largueur : 23 m Poids : 23 tonnes
Tirant d’air : 47 m (mât 45 m)
Tirant d’eau : 5,80 m

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