Les dernières heures du record
« L'arrivée dans la nuit était un peu délicate. J'avais abordé le plateau continental avec une grosse densité de bateaux de pêche et j'ai été obligé de me dérouter deux fois pour éviter des bateaux : d'abord un bateau de pêche puis un cargo qui est passé seulement une dizaine de mètres derrière mon bateau. C'étaient encore des moments impressionnants. C'est relativement rare de devoir se dérouter comme cela, surtout deux fois en si peu de temps. »
L'accueil et la ferveur populaire à Brest
« J'ai l'impression d'être arrivé sur la lune ! Arriver à Brest avec toute cette foule de gens, c'est une chose que je n'avais jamais connu auparavant. La ferveur et la chaleur des Brestois m'ont impressionné… »
Un résumé du parcours ?
« C'est un peu difficile ! J'ai eu la chance de bénéficier d'un bateau qui permet de naviguer vite, longtemps et sur de grands trajets. Il faut imaginer un véliplanchiste qui ferait une glissade ininterrompue à travers les océans. L'indien a été très rapide. Dans le Pacifique j'ai du batailler un peu plus avec des phénomènes météo très complexes qui m'ont obligé à descendre très sud, avec une journée spéciale où j'ai vu 5 icebergs dans la même journée, ça commençait à être un peu inquiétant. J'avais du mal à voir les différences entre les crêtes de vagues et les glaces. Je suis passé assez rapidement au cap Hon et après, dans la remontée de l'Atlantique, j'ai découvert ce que c'était de s'arrêter. Puis, j'ai eu beaucoup de vent debout, auquel les trimarans ne sont pas vraiment adaptés. Ensuite, malgré les soucis techniques, le bateau a réussi à rentrer. Ca n'a pas été facile tous les jours… mais je suis très content d'être là, avec vous, aujourd'hui. »
Le secret de Joyon ?
« Je ne sais pas si j'en ai un et quand on est fatigué, on peut vite devenir mystique, il faut faire attention ! (rires)… Peut-être que j'ai su respecter les éléments, avec un bateau qui ne polluait en rien, alimenté par des dispositifs écologiques. Peut-être que j'ai eu le respect de la mer et que c'est pour ça qu'elle m'a laissé passer. »
Le plus difficile ?
« Le plus dur c'était les ascensions du mât pour tenter de réparer cette avarie sur la fixation du hauban, en particulier la première montée sur une mer croisée. J'étais très secoué, je n'arrêtais pas de me cogner au mât, c'était vraiment dangereux… »
Le routage de Jean-Yves Bernot ?
« Jean-Yves a fait beaucoup de navigation en équipage. Parfois il dit : dans 24 heures tu es sensé être plus de 600 milles plus loin.. Il met la barre un peu haut ! Lui, il réagit toujours sur 100% du potentiel. Il m'exprimait la capacité du bateau à être à tel ou tel endroit à une échéance, en fonction des champs de vent. Et ça m'incitait à y aller… »
Ellen MacArthur et Thomas Coville
« Merci à eux aussi. Sans Ellen, le bateau n'aurait pas existé, car si elle n'avait pas repris ce record il y a trois ans, il n'y aurait pas eu de raisons d'y retourner. Grâce à Thomas, on a été appelés à faire un bateau le plus performant possible. Il a élevé l'exigence. »
Le bateau justement ?
« C'est tout juste si je ne me suis pas fait tirer les oreilles par mes architectes qui m'ont dit que j'étais allé trop vite, que je n'avais pas respecté le programme du bateau (rires)! Plus sérieusement, Nigel Irens et Benoît Cabaret ont fait un travail extraordinaire. Le bateau a une capacité incroyable à passer dans les vagues de manière harmonieuse. Je n'avais jamais connu ça auparavant et c'est aussi ce qui permet d'aller vite. Mais c'est toute une équipe… »
L'équipe
« Les architectes, les constructeurs du bateau, des mâts, des voiles (qui rentrent sans aucune déchirure ni usure…) tous se sont donnés à fond. Je pense encore à Marsaudon Composites, à Christophe Houdet, tout le monde… Une équipe extraordinaire. Il y a eu beaucoup de passion, beaucoup de plaisir. C'est ce qui fait qu'IDEC est réussi. Et que c'est un super bateau. »
La confiance
«Je pensais que la probabilité de battre le record était d'une chance sur trois ou quatre. Le simple fait de réussir à boucler un tour du monde en multicoque sans avarie et sans s'arrêter n'est même jamais gagné d'avance, avant de parler de record …. »
La météo
« Jusque dans l'Indien oui, c'était glisse et vents favorables, même s'il y a toujours les difficultés inhérentes à ce genre de parcours. Le Pacifique a été normalement difficile et l'Atlantique a été beaucoup plus difficile que la moyenne. Un moment, il faut sans doute payer quelque part les facilités que la nature nous a offert auparavant. C'est la remontée de l'Atlantique la plus laborieuse que j'ai jamais faite »
Pensé à l'abandon ?
« A l'Equateur, après l'avarie sur le hauban, j'ai imaginé un moment aller dans l'archipel de Fernando de Noronha pour aller travailler dans le mât, mais c'était quand même à 400 milles… Au pire je serai reparti en course après un arrêt technique, mais je n'ai jamais imaginé abandonner. »
Le bilan du bateau propre, sans énergie fossile ?
« J'avais des appareils qui dépensaient le moins possible. Un bateau, c'est comme une île et comme la planète : il faut protéger l'environnement mais aussi d'abord moins consommer les énergies non-renouvelables. Ca a très bien fonctionné, avec mes batteries toujours chargées à fond. Le bilan est extrêmement positif : 20 kg d'éolienne, 20 kg de panneaux solaires et 15 litres de méthanol pour la pile à combustible, c'est beaucoup plus léger qu'un moteur et tous ses litres de carburant. Et c'est une satisfaction de faire ça dans un bon esprit, en essayant d'avoir l'impact le plus réduit possible sur la planète. »
Le futur
« J'essaierai probablement Cadix-San Salvador, des records dans le Pacifique et probablement tenter de reprendre celui des 24 heures à Sodeb'O.
Le bateau va vous manquer ce soir ?
« Je ne vais pas en être loin très longtemps. J'ai monté la plupart des pièces moi-même, c'est une présence au quotidien… Je vais m'occuper de lui dès qu'il sera rentré à la Trinité. »
ILS ONT DIT :
Patrice Lafargue, PDG d'IDEC
Faire un tour du monde en solo sur un multi, c'est au-delà du sport. C'est une aventure. Avec Francis, nous avons une vraie histoire d'amitié basée sur des valeurs partagées. J'ai la chance d'avoir rencontré un Monsieur, quelqu'un qui me passionne, simple et réservé… ça fait du bien de rencontrer des gens comme lui, atypiques. Il nous a fait un tour du monde fabuleux, il n'y a pas de mots pour décrire ça. Quand il est parti, j'ai eu de l'appréhension.. quand quelqu'un part comme ça, vous voulez qu'il revienne. Le record est fabuleux, extraordinaire… mais je suis surtout content de revoir Francis. L'avenir ? On pourra faire de belles choses encore ensemble, mais c'est trop tôt pour en parler et on est des enfants gâtés, il nous a battu tellement de records…
Jean Todt, parrain de l'ICM et du trimaran IDEC
« J'ai toujours nourri une grande admiration pour ce risque que prennent les marins, surtout en solitaire. J'avais été ébloui par la performance d'Ellen MacArthur, je suis super ébloui par celle de Francis. J'ai eu la chance de l'avoir à deux reprises au téléphone, par hasard dans des moments difficiles et il était étonnant de calme. Je l'ai suivi avec beaucoup d'émotion, admiratif du courage qu'il faut, d'autant que moi je n'oserais même pas traverser le lac du bois de Boulogne à la voile… Plus sérieusement, pour réussir le projet de l'ICM, on a besoin de grandes personnalités comme Francis»
Professeur Gérard Saillant, fondateur de l'ICM et parrain du trimaran
« J'ai vécu ce tour du monde comme chacun, en regardant Internet tous les matins, en m'inquiétant de savoir s'il n'avait pas de souci à bord… et la dernière semaine a été plus difficile que les autres. A l'arrivée, Francis avait les yeux peut-être un peu fermés et un peu petits, mais je l'ai trouvé en forme. C'est un homme extraordinaire de résistance physique. La machine est fantastique, mais c'est bien l'homme qu'il faut mettre en avant. Je le remercie de nous soutenir dans notre cause qui est de tenter d'apporter des réponses aux maladies du cerveau et de la moelle épinière, qui toucheront une personne sur huit d'entre nous.»
LE PDG DE « IDEC ». « JOYON, MON ANTI-STRESS »
Dans le monde de la voile professionnelle, le parrainage est devenu indispensable. Sans partenaire, le marin ne navigue pas. L’histoire entre Patrice Lafargue, P-dg de « Idec », et Francis Joyon va bien au-delà du sponsoring : « Francis est d’abord mon ami ».
À 46 ans, Patrice Lafargue est à la tête d’une société de 250 personnes installée à Blois (1). Chiffre d’affaires en 2007 : 180 millions d’euros et une croissance à deux chiffres. L’homme, pas marin pour un sou -il est né au milieu de la France, à Nevers dans la Nièvre-, est venu à la mer au hasard d’une rencontre avec le skipper de Locmariaquer.
« Avec lui je me suis mis à rêver »
C’était en 2003. « Soit un an après la Route du Rhum 2002 où il avait perdu son trimaran : Francis est venu nous expliquer qu’il voulait tenter de battre le record autour du monde sur multicoque. Il était sûr de le battre mais personne ne voulait le suivre dans l’aventure. » Le patron de « Idec » a dit banco. « Il m’a émerveillé : il nous racontait calmement son chavirage : c’était incroyable. Il m’est apparu simple, rassurant. Tel un enfant devant une BD, je me suis mis à rêver : j’étais dans un conte. » On connaît la suite : avec un vieux multicoque, Joyon s’en va scalper le vieux record de Kersauson. Après le monde, il s’offre, dans la foulée, le record de l’Atlantique. Hélas, une fois la ligne franchie, Joyon s’endort et perd son bateau sur les rochers. « J’étais triste et je ne voulais pas le laisser comme ça. On lui a offert un bateau neuf, "Idec 2" ». Budget global : 3 millions d’euros. Pas un centime de plus. « Francis ferait un bon directeur financier : il avait une enveloppe mais il n’a pas tout dépensé. Avec lui, faut pas gâcher. C’est un marin artisan, version PME. »
Pas d’obligation de résultats
Avec ce record exceptionnel en temps mais aussi en retombées médiatiques, Patrice Lafargue a touché le jackpot. Il modère le propos : « Idec n’est pas une marque grand public, donc en terme de sponsoring pur, cela n’a pas de réel intérêt. Cela dégage une belle image et nous donne un capital sympathie. » L’exploit de Joyon n’aurait donc pas de répercussion sur le carnet de commandes de la société ? « Aucune. » D’ailleurs, Joyon n’a aucune obligation de résultats : « Comme il le dit, cela lui donne juste des devoirs ».
Aucun contrat
Depuis qu’ils se sont rencontrés, les deux hommes ont toujours été sur la même longueur d’onde. Pas la moindre tempête à signaler. À tel point qu’aucun contrat ne les lie. « Nous sommes des amis. De vrais amis. Je suis dans la voile parce que Francis fait de la voile. Il aurait fait du vélo, j’aurais acheté un vélo. » L’homme d’affaires va plus loin. Il avoue que son marin fétiche lui permet de garder les pieds sur terre : « Francis me donne de la force : c’est comme une drogue, mon EPO, un décompresseur, un décontractant. J’ai besoin de ça pour m’évader ». Et demain, s’il n’obtient plus aucun résultat ? « Franchement, je m’en fous : il restera toujours mon ami. Il me donnera des cours de voile. » (1) Le groupe « Idec », ce sont onze sociétés, en France et en Europe, spécialisées à la réalisation de projets d’immobiliers d’ entreprises.
Anne Liardet, Alain Gautier, Jean-Luc Van den Heede, Jérémie Beyou, Philippe Monnet, Jacques Caraës : nombreux étaient les marins sur les quais du port de commerce. Parmi les 2.500 anonymes qui ont réservé un accueil triomphal à l’incroyable Francis Joyon, certains étaient venus de loin à l’image de ce couple de Croates. Après avoir suivi toute l’aventure sur internet, ils sont venus en voiture jusqu’à Brest pour tenter d’apercevoir leur héros.
Francis Joyon, qui a construit son premier multicoque à partir d’éléments récupérés dans les poubelles de la course au large, a gardé cet esprit. Il est très économe du matériel et adepte de la récupération et de la chasse au gaspi. Certains équipiers le surnommaient « Francis faut pas gâcher ». Sur son nouvel « Idec », il a réinstallé des éléments d’accastillage du premier trimaran et notamment « la fameuse barre à route qui connaît la route ».
Malgré son problème en tête de mât, il n’a jamais pensé à l’abandon : « Au niveau de l’équateur, j’ai vu que l’île la plus proche était Fernando de Noroha : l’escale étant autorisée par le règlement, j’ai pensé m’y arrêter pour trouver un endroit calme pour travailler en toute sécurité dans le mât »
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Il y a quatre ans, Joyon s’était débrouillé seul pour l’analyse météo. Il y passait quatre heures par jour. Pour cette tentative, il s’était offert les services d’un spécialiste, Jean-Yves Bernot. « Bernot a placé la barre très haut. Parfois, il me disait : "Dans 24 heures, tu es censé être 680 milles plus loin..." Parfois, j’avais envie de lui dire qu’il poussait fort. Avec lui, c’était du 100 % ».
Selon Joyon, la casse fait partie du jeu, surtout autour du monde : « On ne peut pas espérer faire un tour du monde sans rencontrer de problèmes techniques, parce que ce sont des bateaux puissants, rapides qui fatiguent énormément le matériel. Je n’ai pas touché un outil pendant presque 40 jours. Les problèmes sont arrivés après, parce qu’il y a l’usure du bateau, des cordages : on est obligé d’en tenir compte dans un tour du monde ».
jeudi 24 janvier 2008
RETOUR SUR EXPLOIT
Publié par vie-project à 2:36 PM
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