samedi 10 mai 2008

ARTEMIS TRANSAT ET CLASS 40



Connu pour ses féroces coups de tabac hivernaux, l’Atlantique nord reste une zone périlleuse même à l’approche de l’été. Jean-François Bonnin et Pascal Landuré (MeteoStrategy) nous aident à décrypter les options tactiques s’offrant aux concurrents… ainsi que les pièges qui leurs sont tendus.

Plus on avance vers l’été et plus l’anticyclone des Açores et les conditions clémentes lui étant associées se déplacent vers le Nord suivant le mouvement apparent du soleil. Il s’étend alors des Bermudes au golfe de Gascogne et son centre se positionne sur l’archipel dont il tire son nom (position centrale moyenne en mai : 35°N / 033°W). Mais il ne s’agit là que de climatologie, et donc d’une configuration issue des moyennes saisonnières. Dans la réalité, les schémas peuvent être très différents avec principalement deux situations, deux régimes qui se dégagent : le régime zonal et le régime de blocage.

Le régime zonal

C’est celui qui se rapproche le plus des statistiques. On retrouve alors des hautes pressions au Sud d’une ligne Virginie (USA) / Sud Irlande, et des basses pressions au Nord. Les dépressions circulent alors sur une autoroute des Etats-Unis à l’Europe, et atteignent encore régulièrement le golfe de Gascogne et le Sud des îles Britanniques. Il n’est effectivement pas rare de voir des dépressions se présenter à l’entrée de Manche au mois de mai en situation de régime zonal. Ces dépressions circulent encore parfois en famille, c'est-à-dire les unes à la suite des autres, par trains qui se succèdent de trois à cinq jours. Par comparaison, cette même configuration est plus marquée en hiver (tous les deux à trois jours).
Dans ce type de situation et d’une façon générale, l’activité dépressionnaire est plus importante à l’Est de l’océan Atlantique qu’à l’Ouest, et le chemin privilégié des dépressions - que l’on appelle aussi « rail des dépressions » - se trouve globalement situé sous le courant jet d’altitude sur une grande partie de l’Atlantique. Les dépressions, dans un schéma classique, se forment sur la côte Est des Etats-Unis et suivent leur petit « bonhomme de chemin » jusqu’à nos régions. On peut alors assister à la formation rapide de phénomènes parfois virulents, avec des vents atteignant temporairement la force 7 à 8 Beaufort. Il est par contre plus rare d’atteindre des forces de 8 à 9 Beaufort… mais c’est pourtant ce qui s’est produit le 27 mai 2007 à l’entrée de Manche avec des vents atteignant les 122 km/h en rafales à la pointe du Raz ! Ce type de situation lève des mers très fortes. A titre indicatif, un vent de 40 nœuds (force 8 Beaufort) soufflant pendant 24 heures génère des vagues de huit mètres !

Le régime de blocage

Dans ce second grand cas de figure, désigné comme « régime de blocage », on retrouve un anticyclone ou une dorsale sur le proche ou le centre Atlantique. En mai, le schéma serait plus celui d’une dorsale issue de l’anticyclone des Açores et remontant vers les îles Britanniques ou l’Islande. Les dépressions et perturbations atlantiques sont alors bloquées à l’Ouest du 10°W et parfois à l’Ouest du 20°W. Elles vont alors en général soit contourner la dorsale par le Nord, soit rester plus ou moins stationnaires. Mais dans certaines situations, elles profitent d’un affaissement de la dorsale dans sa partie Sud pour se diriger vers le Portugal où elles arrivent atténuées avec une activité essentiellement orageuse. Dans tous les cas, le proche Atlantique est protégé, les vents sont alors faibles, la mer n’est pas levée mais quelques brouillards côtiers peuvent se produire et des régimes de brise s’établir sur la côte Sud de l’Angleterre. C’est cette situation qui risque fort de se présenter devant les étraves des 60 ET 40 pieds dimanche 11 mai à 14h00 locales !

A la veille du départ de The Artemis Transat, dimanche 11 mai à 14h00 locales, les prévisions météorologiques laissent entendre que les vingt-quatre concurrents vont devoir composer avec les deux régimes météo décrit dans le précédent magazine : d’abord une « situation de blocage » avec une poussée anticyclonique entre des dépressions nombreuses mais peu marquées, puis un « régime zonal » avec un train de dépression se présentera en fin de semaine au large de Terre-Neuve que les concurrents ne pourront pas forcément contourner par le Nord… Les monocoques 60 pieds auront donc du pain sur la planche tactique car dès les premiers milles, le choix d’une route plus ou moins proche de l’orthodromie (route directe) sera déterminante pour toute la traversée de l’Atlantique. Pour les 40 pieds, la problématique n’est pas la même car le différentiel vitesse est suffisant (surtout au portant) pour que la situation au milieu de l’Atlantique soit très différente de celle des Imoca et donc la fin de parcours s’annonce plus agitée pour eux que pour leurs grands frères…

Les premières heures de course vont être tactiquement intéressantes en raison des marées importantes en Manche et en mer d’Irlande (coefficient 62 dimanche 11 mai). Si l’on part sur un flux zonal, c’est-à-dire un régime dépressionnaire classique de secteur Ouest, il faudra gérer les phénomènes d’accélération dus aux côtes et caps, et au mois de mai, on peut encore observer des passages à une trentaine de nœuds en Manche : c’était précisément la configuration observée en 2004…
L’autre cas de figure un peu plus probable au vu des prévisions deux jours avant le coup de canon, est un départ en régime de blocage, avec des conditions anticycloniques : il y aurait alors un peu de brise à négocier au départ, puis il s’agirait de gagner rapidement dans le Nord-Ouest afin de récupérer un flux plus régulier. D’une manière générale, la grande difficulté du mois de mai réside dans le fait que les conditions peuvent changer du tout au tout, aussi la capacité des concurrents à engranger et à analyser les mises à jour météo sera cruciale pour cette première portion.

Du Fastnet à Terre-Neuve

Il s’agit de la traversée de l’Atlantique proprement dite, et là encore, les deux cas de figure sont envisageables. La configuration dépressionnaire « classique » oblige à progresser vers l’Ouest au près, avec schématiquement une route Ouest-Nord-Ouest à l’avant des perturbations dans le flux de secteur Sud-Ouest, pour rebasculer sur un cap Ouest-Sud-Ouest dans le flux de secteur Nord-Ouest à l’arrière des systèmes. Il faudra être vigilant et ne pas trop se faire déporter vers le Nord, au risque d’avoir du mal à redescendre…
Dans le cas d’un régime de blocage, il y aurait alors une dorsale située sur le 30° W, et l’enjeu majeur serait la traversée de cette dorsale : celle-ci s’effectue en fonction des conditions que l’on estime trouver à la sortie. En cela, la problématique tactique est un peu comparable à celle que l’on rencontre sur le passage du Pot au Noir dans une descente ou remontée de l’Atlantique. Si l’on attend un régime de Sud-Ouest derrière la dorsale, il convient donc de ne pas monter trop Nord sous peine d’être coincé pour descendre vers Terre-Neuve, qui est sur la route orthodromique.
L’état de la mer est pour sa part très variable sur l’Atlantique Nord, mais il faut souligner que des creux de huit mètres sont loin d’être une denrée rare en mai, et que contrairement à ce que l’on trouve en Atlantique Sud ou dans le Pacifique, dans cette partie de l’océan les périodes moyennes (c’est-à-dire le laps de temps séparant deux crêtes) sont bien plus réduites. Les bateaux cognent donc sans relâche, prenant la première vague comme un tremplin, rebondissant sur la seconde et s’écrasant sur la troisième.

De Terre-Neuve à Boston

A partir de 45° de longitude Ouest, les options tactiques commencent à se réduire. D’autre part, les concurrents entrent dans la zone où les icebergs sont fréquents, et les brouillards aux abords de Terre-Neuve ne facilitent pas les choses. Les brouillards d’advection se forment principalement de mai à septembre. Cette formation est due au fait que l’air chaud qui a circulé au-dessus du Gulf Stream, et se déplaçant vers le Nord, parvient sur les eaux froides du courant du Labrador longeant le Groenland. La masse d’air se refroidit alors rapidement, sature et il se crée alors du brouillard. Ces eaux sont alors à environ 10°C en mai. Ce type de brouillard a la particularité d’être très dense, et tellement important qu’il persiste encore par des vents de 40 nœuds et parfois supérieurs. La fin du parcours est donc marquée par cette difficulté qui s’ajoute au problème des icebergs, mais il ne faut pas non plus complètement exclure la remontée de systèmes cycloniques tropicaux prématurés si la saison cyclonique a tendance à démarrer tôt…

Les icebergs

Les icebergs peuvent être rencontrés dès le 40°W et dans les cas extrêmes descendre jusqu’au 38°N (latitude de Lisbonne) avec une concentration maximale dans une zone s’étendant à l’Est-Sud-Est de Terre-Neuve. En raison de la présence du Gulf Stream (qui est relativement chaud et dirigé vers le Nord-Est), il est exceptionnel d’en rencontrer au Sud du 48°N. Toutefois, certaines années ont vu des icebergs croiser au large de New-York ! Fait important, il reste à noter que le mois de mai est le mois où la fréquence du nombre d’icebergs est maximale. Ainsi, entre 1900 et 2007, le nombre moyen d’icebergs observés en mai est de 147 pour une moyenne annuelle de 471 dans la zone de couverture de la patrouille internationale des glaces (Canada, USA) comprise entre le 48°N et le 52°N.

Le courant Jet

Il s’agit d’une zone de vents forts, située vers 9000 /10 000 mètres d'altitude, se formant à la rencontre de l’air polaire et de l'air subtropical. Ces deux masses d’air ne se mélangent pas, l'air polaire froid et sec descend vers le Sud alors que l'air subtropical doux et humide remonte vers le Nord. Le conflit engendré induit une compression et une augmentation de la température. On assiste alors à la création d'une énergie formidable. Que devient-elle ? Elle est principalement transformée en vent, qui peut atteindre 300 à 400 km/h !!! Les pilotes d’avions de ligne effectuant des trajets USA – Europe en tirent d’ailleurs profit et se positionnent dans ce flux.
Certes, le phénomène prend forme en altitude, mais il convient de considérer le système en trois dimensions. Lorsqu’une ancienne dépression, un reste de front, un thalweg de basses couches se trouve en surface à proximité du réservoir constitué par le courant jet, l’énergie stockée en altitude peut venir les réactiver sous certaines conditions. Qui plus est, lorsque la dépression passe du Sud au Nord du courant jet, on peut alors assister à la formation d’une "bombe" (le meilleur exemple étant la tempête qui a balayé l’Ouest de l’Europe en 1999). Le risque existe surtout en hiver, mais il convient de rester également vigilant au printemps, principalement au large.

les skippers des 40 pieds rdonnent leur point de vue sur les 2739 milles que compte cette transat dans l’Atlantique Nord et qui les conduira à Marblehead, USA.

Alex Bennett, le skipper de 34 ans à la barre de Fujifilm est le local de la transat : « C’est une énorme course ; c’est formidable pour Plymouth d’accueillir cet événement ! » Bien qu’à l’aise avec sa vie de terrien, Bennette ne cache pas son envie pressante d’aller se frotter à ses camarades : « Je suis pressé d’en découdre ! « admet-il. Le navigateur britannique n’a eu de cesse de régater depuis sa 5ème place dans la mini en 1999 et voit la Class40 comme une étape incontournable dans l’apprentissage de sa vie de marin. « Vous devez vous tourner vers le future, explique Bennett, la class40 est une étape importante vers la classe IMOCA.

Pendant que l’anglais Bennett rêve de bateaux plus grands, Benoit Parnaudeau qui a fini 10ème du dernier Vendée Globe admet que même si le 40 pieds n’est pas aussi puissant que les 60 pieds sur lesquels il naviguait, la course au sein de cette classe est passionnante. Le skipper rochelais âgé de 36 ans a concouru la dernière transat Jacques Vabre et a réalisé quelques optimisations depuis novembre dernier à bord de son Prévoir Vie : « Le changement majeure est l’installation d’un chauffage", a-t-il confirmé lors de la conférence de presse, provoquant un four rire général auprès de tous ses concurrents.

Le plus expérimenté de la flotte sera certainement Giovanni Soldini, le vainqueur en Class40 de la dernière Transat Jacques Vabre à bord de son Telecom Italia. Le skipper italien de 41 ans part favori pour sa 5ème Artemis Transat : « Au près, au près c'est toujours désastreux ! C’est toujours ‘boom’, ‘boom’, boom’ tout le temps. C’est vraiment pas excitant le près !” La grande partie de la transat est place sous des allures de près même si au moment du départ la flotte devrait bénéficier de vents portants : « J’espère simplement qu’ils vont nous accompganer un bon moment ! » ajouta l’italien optimiste.

Un des Class40 que Soldini devra surveiller est Appart’City, l’étincelant bateau jaune du navigateur Yvan Noblet. Le français de 27 ans a toujours été aux avants-postes dans la transat Jacques Vabre, talonnat Telecom Italia. La stratégie de Noblet est simple : « Je souhaite juste faire une jolie course, explique-t-il, et une course propre ! »

A suivre le Français Halvard Mabire qui prendra le départ de sa 3ème Artemis transat. Halvard est un marin expérimenté avec un CV impressionnant comptant 7 solitaires du Figaro et 2 Route du Rhum. Ce normand de 52 ans et son Class40 Custo Pol sont fin prêts pour le départ dimanche : « La Class40 est une classe excellente, les bateaux sont résistants, simples et très performants. Même avec un budget limité, il est possible de faire une belle course. »

Miranda Merron a elle-aussi un palmarès interessant, avec trois transats en double entre 1999 et 2005, prenant la 8ème place de la Route du Rhum 2003 et vaiqnueur avec son Class40 40° Degrees de la Fastnet Race. Merron ne doute pas de l’intensité de la bataille en Class40 : « Tous sont des bateaux compétitifs et la bataille sur l’eau va être très dense ! » confirme la jeune femme du Hampshire, très réaliste sur la course à venir. « Nous sommes plus petits que les IMOCA 60’, nous allons moins vite et pourtant nous faisons la même course… aussi merci de vous souvenir de nous. » lance-t-elle à l’assemblée.

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