mercredi 7 mai 2008

Giraudeau jette l'encre à la mer




"Ce n'est pas l'homme qui prend la mer, mais la mer qui prend l'homme" fredonnait le chanteur. Le comédien et écrivain Bernard Giraudeau a fait cette constatation quasi-existentielle à l'aube de sa vie adulte, à l'Ecole des apprentis mécaniciens de la Marine Nationale. C'est cette expérience qu'il a couchée sur papier dans Les hommes à terre (Métailié), sous forme de récits.
N'oublions pas, par ailleurs que Bernard Giraudeau est le parrain de Stéphane Le Diraison qui court en Mini 6,50.



L'arrivée sur la Jeanne d'Arc, puis le noir des nuits sur le pont.
La colonie pénitentiaire

"Ce n'est pas l'homme qui prend la mer, mais la mer qui prend l'homme" fredonnait le chanteur. Le comédien et écrivain Bernard Giraudeau a fait cette constatation quasi-existentielle à l'aube de sa vie adulte. A l'âge de 16 ans, le gamin de La Rochelle au regard océan entre à l'Ecole des apprentis mécaniciens de la Marine Nationale et participe aux deux premières campagnes du porte-hélicoptères Jeanne d'Arc. C'est cette expérience qu'il a couchée sur papier dans son Marin à l'ancre et Les hommes à terre (Métailié), sous forme de récits. Cette fois, il allie aux mots le trait sombre et travaillé du dessinateur globe-trotter Christian Cailleaux, talent de l'écurie de l'éditeur indépendant Treize Etrange. Le narrateur prend la voix du matelot Théo, 17 ans. Là, dans la cale de la Jeanne d'Arc, au milieu des machines, au coeur du navire, il fait son premier tour du monde. "J'allais vivre tous ces mois dans la matrice d'acier, les odeurs de sueur des postes équipage, les réveils glauques, avec l'impatience des escales à venir, de la Terra pour moi encore incognita", confie-t-il en début de périple. Vierge de paysages exotiques, vierge de sensations amoureuses, le "bleu", comme l'on nomme les jeunes matelots, fait sur l'eau et à terre, lors des escales, l'apprentissage de la vie. La mer le happe, psychologiquement, viscéralement. En plein coeur, en pleines tripes. La mer s'insinue, la mer constitue. Et bouleverse l'être. A jamais.


L'arrivée sur la Jeanne d'Arc.
Sur les traces d'Arthur Rimbaud

Pour Theo, ce voyage est l'ultime étape pour enfin tourner la page de l'enfance. Se perdre pour mieux se retrouver. Dans les bras de Teaki, la belle brune d'Honolulu, son coeur vibre pour la première fois, il pense que c'est cela l'amour avec un grand A. Au fil de l'eau pourtant, au gré des escales, l'apprenti marin -et apprenti homme-, finit par mettre en pratique l'ancestral adage "une femme dans chaque port".

"Un marin n'a pas de liaison à part la mer. Il jure ne jamais oublier une femme qu'il a connue dans un port, qu'il a passionnément aimée. Puis, un soir, la mer s'engouffre pour brouiller les images. Elle glisse le long de la coque et ondule jusqu'à l'infini. Elle hypnotise et le marin s'endort. Au réveil, il attend avec impatience les parfums échappés de la prochaine terre", écrit Giraudeau. Ce voyage est également couleurs. Impeccablement mises en valeur par le dessinateur. Le noir des nuits sur le pont, passées à lire en cachette de ses pairs, le bleu électrique des tempêtes et des orages quand la mer se fait dure, le rouge des scènes de bagarres - car le monde de la mer est aussi violence-, ou de la sensualité des étreintes, l'ocre du désert de Djibouti où le jeune matelot s'offre une parenthèse initiatique sur les traces d'Arthur Rimbaud. Apreté, solidarité et générosité sont au coeur de cet ouvrage à respiration poétique. Les mots de Giraudeau envoûtent, heurtent, cognent parfois pour mieux épouser les états d'âme des marins. L'expérience du voyage de Christian Cailleaux confère à ses dessins une lumière digne de véritables photos. Montevideo, Valparaiso, Balboa, autant de destinations à consonance exotique vers lesquelles on se verrait bien embarquer. Dès les premières vagues, on est partie prenante de ce magnifique voyage.


R 97, Les hommes à terre, de Christian Cailleaux et Bernard Giraudeau, Casterman, 17,95 euros.

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