mardi 3 juin 2008

ARTEMIS TRANSAT : À CONTRE-COURANT



On leur attribue généralement la douceur qui règne sur les côtes de l’Ouest de l’Europe, leur mécanisme donne son véritable « caractère » à l’Atlantique Nord… le Gulf Stream et ses ramifications jouent un rôle prépondérant dans la dynamique de cet océan.

Si son existence est formellement attestée depuis la découverte de la Floride par le conquistador Juan Ponce de Leon, le Gulf Stream était d’après de nombreux historiens déjà connu des indiens Séminoles. Le navigateur espagnol, ayant accompagné Christophe Colomb lors de son second voyage vers le Nouveau Monde, remarque en 1513 que les navires de sa flotille subissent un courant rapide en provenance de l’actuelle mer des Antilles, et consigne ses observations dans son livre de bord. Il faudra néanmoins attendre deux siècles et demi avant qu’une étude approfondie soit entreprise, son initiateur n’étant autre que Benjamin Franklin, scientifique de génie ayant par ailleurs fondé – en plus de ses théories révolutionnaires sur l’électricité – la première bibliothèque publique des Etats-Unis, ainsi que la première brigade de sapeurs-pompiers de Pennsylvanie. En tant qu’administrateur des Postes, Franklin met sur pied en 1770 une étude approfondie ainsi qu’une cartographie du Gulf Stream, de manière à optimiser les délais de transport du courrier vers les côtes européennes. Cet épisode sera déterminant en ce qui concerne l’intérêt que porteront les océanographes à ce phénomène au XIXème siècle.

La dynamique du Gulf Stream, à l’instar de celle de tous les courants de grande échelle, s’explique par une circulation induite par le vent à l’échelle de l’Atlantique Nord, qui est intensifiée sur le bord ouest en raison de la rotation terrestre. Il s’agit donc d’un mouvement généré par une friction due aux vents (qui concerne des profondeurs jusqu'à 1500 à 2000m sous la surface), et la température élevée du Gulf Stream s’explique par le fait que ce courant entraîne les eaux chaudes situées entre la Floride et les Bahamas. La circulation thermohaline (qui résulte d’une différence de densité – les eaux froides et salées plongeant sous les eaux « chaudes » et moins salées, par exemple dans la mer du Labrador) concerne de plus grandes échelles et affectent les couches plus profondes que 2000m. Elle peut influencer pour sa part la position du Gulf Stream, mais n’explique pas sa dynamique. Par ailleurs les courants de grande échelle et en particulier le Gulf Stream sont instables et donnent naissance à des tourbillons de moyenne échelle de diamètre compris entre 50 et 200 km dans cette région. Ces tourbillons se manifestent par une déviation des courants moyens qui peut être très importante et doit donc être prise en compte, notamment par les navigateurs.

Au large de la Floride, les limites du Gulf Stream sont visibles à l’œil nu, et ses dimensions ont de quoi faire pâlir d’envie les plus majestueux des fleuves – il atteint en effet par endroits 150 kilomètres de large pour 1200 mètres de profondeur, s’écoulant à un maximum de près de 5 nœuds. On estime à 30 millions de mètres cubes le volume d’eau transporté à la seconde par ce courant dans le détroit de Floride, et ce chiffre atteint les 80 millions de m3/s une fois passés les 35° de latitude nord. A titre comparatif, le débit combiné de tous les cours d’eau se jetant dans l’Atlantique n’est que d’environ 0,6 millions de m3/s ! Le Gulf Stream longe la côte des Etats-Unis jusqu’au cap Hatteras (Caroline du Nord, 35°N 75° W), pointe qui sépare ce courant du flux froid de Virginie, circulant vers le sud. Au large du Cap Hatteras, aux environs du 37° nord, il s’incurve brusquement vers le nord est, puis reste globalement tangent au 40°N jusqu’au 45°W où sa trajectoire s’oriente au Nord pour atteindre le 50°N. Les caractéristiques physiques que l’on retrouve alors à l’Est de la longitude du Groënland étant très différentes de celles du précédent tronçon, le courant porte alors le nom de dérive Nord Atlantique. De cette position, la dérive Nord Atlantique se dirige vers le Nord-Est en direction de l’Ecosse et de la Norvège alors qu’une branche secondaire s’oriente vers le large du Golfe de Gascogne et le large du Portugal.

Le rôle thermorégulateur du Gulf Stream et son influence sur le climat de l’Europe de l’ouest a été théorisé pour la première fois par le lieutenant Matthew Fontaine Maury (marine des Etats-Unis), dans un ouvrage intitulé « The physical Geography of the sea and its meteorology » et publié en 1855. Et si cette thèse a été largement acceptée et enseignée, depuis une vingtaine d’années la communauté scientifique insiste de plus en plus sur son caractère quelque peu schématique, tout en soulignant que les déplacements de masses d’air d’origines différentes ont un rôle crucial dans les différences de température existant entre l’ouest de l’Europe et le nord est du continent américain… Soumis à un régime de vents venant globalement du nord (air arctique), le Canada et les états du nord est américain seraient donc logiquement plus froids que l’Europe occidentale, bénéficiant pour sa part de flux océaniques (régimes d’ouest portés par le courant Jet), notamment en hiver. Ce qui ne signifie pas que l’influence du Gulf Stream et de son prolongement la dérive nord Atlantique soit pour autant négligeable – il est néanmoins important, d’après les études récentes, de considérer que d’autres facteurs majeurs sont à l’œuvre. En effet, des simulations numériques récentes on permis d’établir que le Gulf Stream n’intervient que pour 10% du réchauffement généré par la circulation atmosphérique sur les côtes de l’Amérique du Nord et de l’Europe.

Il a récemment beaucoup été question de l’éventuelle disparition du Gulf Stream, qui serait alors principalement due à la fonte des glaciers de l’Arctique dont le réchauffement global est une des conséquences les plus visibles... L’augmentation de la pluviométrie sur l’Atlantique, due à l’effet de serre, jouerait elle aussi un rôle sur l’arrêt du Gulf Stream car ces deux facteurs combinés ont pour effet un apport important d’eau douce sur la partie nord de cet océan. La différence de densité entre les eaux Arctiques et celles de la mer de Norvège en serait considérablement réduite, et on estime que la plongée des eaux froides salées se déplacerait jusqu’aux Açores, où le Gulf Stream se rétracterait alors naturellement.

Les avis sont assez partagés lorsqu’il s’agit d’envisager les divers scénarios consécutifs à cette disparition, même si personne ne semble aller dans le sens de Roland Emmerich, dont le film « Le jour d’après » prophétise l’apparition brutale d’un nouvel âge glaciaire en Europe suite à l’arrêt du Gulf Stream. Plusieurs simulations laissent en effet envisager une baisse des températures en hiver, qui toutefois ne serait pas suffisante pour enrayer le réchauffement à l’œuvre en Europe – c’est en tous cas l’avis de Martin Visbeck (Institut Leibniz des Sciences de la Mer, Kiel), qui table sur un affaiblissement maximum de 30% des courants de l’Atlantique nord d’ici 2100. Un des effets bénéfiques de la plongée du courant de dérive nord Atlantique étant d’enfouir approximativement un milliard de tonnes de CO2 par an, on comprend pourquoi la perspective du ralentissement de cette dynamique constitue une source d’inquiétude légitime. Il y aurait alors un effet de renforcement du réchauffement global, et par voie de conséquence un cercle vicieux (apport d’eau douce, donc réduction supplémentaire de la force des courants…).

Il est également nécessaire d’évoquer l’existence du courant du Labrador qui présente un intérêt non négligeable sur la fin du parcours. Ce courant issu de l'Océan Arctique est engendré par la rencontre de deux courants arctiques : le courant occidental du Groënland et le courant de l'île de Baffin. Sa route vers le Sud l’entraîne le long de la côte du Labrador et de la côte orientale de l'île de Terre-Neuve. Il se propage ensuite vers le Sud-Ouest et les côtes de la Nouvelle-Écosse. Le golfe du Saint-Laurent est atteint par une branche du courant qui incurve son déplacement plus à l’Ouest. Le courant du Labrador occasionne un refroidissement des côtes Est du Canada et de la Nouvelle-Angleterre, sa température étant inférieure de 8 à 1O°C par rapport aux eaux rencontrées à une même latitude sur les côtes Ouest de l’Europe ou des Etats-Unis. Il est important de souligner que ce courant est à l’origine de la dérive des icebergs depuis les glaciers du Groenland vers l'Atlantique Nord, au printemps et en été. Les brumes et brouillards de la zone des grands bancs de Terre-Neuve sont occasionnés par l’arrivée d’air chaud et humide sur cette vaste étendue d’eaux froides.

Quelle influence pour la flotte engagée dans The Artemis Transat ?
Les courants sur l’Atlantique sont régis par le Gulf Stream et la dérive Nord Atlantique jusqu’au 50/55°W. Plus à l’Ouest, les skippers bénéficieront alors du courant du Labrador à l’exception de ceux qui évolueraient sur une route Sud. Les courants sont donc de face et portent à l’Est-Nord-Est (080° environ) pour 0.5 à 0.6 nœuds de l’entrée de Manche jusqu’au 45°/50°W et ce quelle que soit la latitude. A l’ouest du 50°W et jusqu’à la latitude du Sud de la Nouvelle-Ecosse (Cap Fourchu, Yarmouth), les courants s’inversent. Le courant du Labrador prend la relève et porte à l’Ouest-Sud-Ouest (230°/250°) pour environ 0.5 nœuds. En dessous du 42°N et au large des Etats-Unis, le Gulf Stream porte au Nord-Est pour une moyenne de 0.5/0.7 nœuds, sa vitesse étant réduite au contact du courant du Labrador. Il s’agit là de valeurs moyennes mensuelles concernant les courants océaniques. En vitesse instantanée, le Gulf Stream atteint des vitesses comprises entre 2.5 et 5 nœuds principalement en dessous du 40°N. Les courants de marées peuvent avoir une vitesse de plusieurs nœuds dépendant principalement du coefficient mais ce phénomène est étranger aux courants océaniques.

Merci à Patrice Klein (Ifremer Brest) et Pascal Landuré (MeteoStrategy) pour leurs précieux conseils lors de la réalisation de cet article.

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