mardi 3 juin 2008

Québec-Saint-Malo: traverser l'Atlantique, ça n'a pas de prix


Construire son voilier pour participer à une transat internationale est un défi lancé à la physique, aux éléments et... à la raison. Un pari un peu fou qu'est en passe de réaliser un équipage québécois inscrit dans la class 40 de la Transat Québec - Saint-Malo. Petite incursion dans la préparation de cette équipe.

Depuis plus d'un mois, Éric Tabardel dort dans son bateau. Depuis plus d'un mois, Jean-Maurice, un de ses amis, dort dans la tente-roulotte stationnée juste à côté. Pour veiller sur la coque installée sur le quai de l'horloge, dans le Vieux-Port de Montréal.

Une coque mise à l'eau hier, deux ans et demi après que l'idée eut germé dans l'esprit de ce gars qui, depuis, a vendu sa maison, perdu sa blonde, fait une croix sur son école de voile et qui envisage maintenant d'hypothéquer son condo.

Tout ça pour quoi? Pour traverser l'Atlantique à bord de son 40 pieds et rallier dans les trois premiers de sa catégorie le port de Saint-Malo.

Éric, le skipper, n'est pas seul dans l'aventure. Ils sont trois, bientôt quatre. Tous aussi fous les uns que les autres, est-on tenté de dire, au regard de la tâche colossale qu'ils accomplissent. «Il faut aimer les problèmes, avoue Éric. C'est sûr qu'il faut être un peu fou. J'avais une vie bien tranquille avant. J'ai définitivement fait une croix sur un mode de vie. Maintenant, j'ai des problèmes à régler tout le temps. Je suis au bout de mes limites aujourd'hui.»

Damien De Pas, le co-skipper, est tombé dedans quand il était petit; dans le bouillon d'écume. Nul besoin d'essayer de le convaincre quand un jour de décembre 2005 son comparse de régate lui propose de le suivre. Damien suit Éric. Les premières pièces sont fabriquées l'année suivante. Et après deux ans de travaux, Bleu voile océanique, de son nom, sort d'un atelier miteux du quartier Saint-Henri le 17 avril dernier. «Je ne sais pas comment Éric a pu passer autant de temps dans un tel endroit», sourit Damien De Pas.

Du temps? Sept jours sur sept, 365 jours par année, plus de 12 heures par jour, pour 7000 à 8000 heures de travail jusqu'ici. Imaginant un projet «bas de gamme» au départ, Éric a vu celui-ci prendre de l'ampleur. Pour avoir aujourd'hui un bateau de course qui, dans un an, ne sera plus performant, aura déjà perdu la moitié de sa valeur, et dont les voiles à 50 000$ seront bonnes à changer...

Les réserves remplies de mousse, des ballasts de 750 litres et un poids de 4,5 tonnes maximum font de Bleu voile océanique un bateau «normalement insubmersible». Constituée d'une mousse rigide d'un pouce d'épaisseur, recouverte de fibre de verre et de résine époxy, la coque supporte un mat en carbone de 63 pieds de haut pour une voilure de 280 m2 au portant. Des dimensions à faire saliver un plaisancier du dimanche. Mais un joujou qui vaut presque 500 000$. Et c'est sans compter les 8000$ d'inscription et les 10 000$ d'assurances.

Le départ de la course sera donné le 20 juillet. Éric Tabardel et ses coéquipiers sont «à la dernière minute». Tout est à la dernière minute. Les problèmes, les retards de livraison, les mauvaises surprises sont monnaie courante. Lors de notre première visite, la quille livrée quelques jours plus tôt ne répondait absolument pas à la commande. Du travail supplémentaire qui a coûté plusieurs jours.

Preuve encore qu'ils sont à la dernière minute, il leur manque un équipier. «On cherche un gars d'expérience, ce n'est pas facile à trouver ici. À trois, on risque de manquer de sommeil», commente Damien De Pas.

«C'est dommage que l'on ait pas plus de temps pour s'entraîner et tester le bateau», ajoute Sébastien Roubinet, l'autre équipier à avoir embarqué dans l'aventure. Encore un manque de temps et... d'argent. Un tel projet coûte très cher au Québec et l'expertise y est inexistante. «Ça fait un an et demi que j'ai commandé mon mât... Tout est deux ou trois fois plus long ici, déplore Éric. Dans un monde idéal, on devrait être à l'eau depuis un an. C'est le monde idéal mais pas réel. Je n'avais pas l'argent pour faire construire le bateau en six mois.»

«Il manque encore un 70 000, 80 000$, souffle Damien. Éric pense à hypothéquer son condo.»

Traverser l'Atlantique, ça n'a pas de prix.

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