mardi 3 juin 2008

Artemis Transat : Un Farr et deux Finot

Treize monocoques Imoca au départ de The Artemis Transat dimanche 11 mai à 13h UTC : moins de deux semaines plus tard, les trois premiers sont arrivés à Boston, Loïck Peyron vainqueur, s'octroyant même le meilleur temps sur cette traversée de l'Atlantique pourtant rallongée.
Yann Eliès s'adjugeait donc la troisième marche du podium ce dimanche matin, Generali ayant peiné pour franchir la ligne d'arrivée à 4h00' 22'' UTC, (soit 6h 00' 22'' heure française). En effet, Yann Eliès a dû lever le pied lors des dernières 24 heures de mer car le skipper de Generali avait constaté que sa barre de flèche tribord en haut du mât présentait des faiblesses au point de risquer de se désolidariser. Cet incident aurait pu entraîner le démâtage du monocoque et le Briochin a donc pris ses dispositions pour préserver son gréement en réduisant considérablement la voilure. Ce parcours a été plein d'enseignements pour cet ex-Figariste qui a participé à dix Solitaires : toute une nuit sous spinnaker par plus de vingt-cinq nœuds de vent ; en tête de la course pendant plusieurs heures après le Fastnet ; option un peu trop Nord en compagnie de Michel Desjoyeaux ; plongée vers le Sud-Ouest un peu tardive pour aller chercher la porte des glaces ; stress du démâtage le long des côtes américaines. Le Briochin s'octroie tout de même la meilleure performance sur 24 heures avec 376 miles, soit plus de 15,65 nœuds de moyenne ! Pour sa deuxième expérience en solitaire sur une transat à bord d'un monocoque de 60 pieds, Yann Eliès peut être rassuré avec cette place sur le podium.


Convergence architecturale ?
Mais avec deux plans Finot sur le podium, Armel Le Cléac'h (Brit Air) et Yann Eliès confirment que ces prototypes très puissants sont aussi à l'aise dans les brises modérées, au près comme au reaching ou au portant. Le différentiel par rapport au plan Farr du vainqueur Loïck Peyron (Gitana Eighty) ne semble pas significatif ! C'est d'ailleurs l'un des enseignements de cette treizième édition de The Artemis Transat qui, personne ne le cachait au départ de Plymouth, était aussi pour certains l'occasion de valider les modifications du chantier d'hiver, pour d'autres de se qualifier pour le Vendée Globe, pour tous de faire un bilan plus précis du potentiel de chacun.

Et de ce point de vue, difficile d'en tirer des conclusions claires ! Le seul paramètre qui semble nettement identifié, c'est l'importance capitale du skipper. D'abord de son état physique, Marc Guillemot (Safran) ayant confirmé que le moindre incident corporel enlève rapidement des dizaines de pourcentage d'efficacité sur le pont mais aussi à la table à cartes. Quand chaque décision demande un effort considérable pour manœuvrer, matosser, ballaster, quiller, régler. Ensuite de sa réactivité intellectuelle, Yann Eliès ayant laissé entendre qu'il avait raté le coche quand il a vu Michel Desjoyeaux partir au Sud-Ouest et qu'il n'a pas réagi par manque de lucidité. La moindre petite erreur d'appréciation, pour enclencher une manœuvre ou pour rester en phase avec les rythmes météo fait perdre des dizaines de milles qui sont de plus en plus difficiles de rattraper.

Car les bateaux de la nouvelle génération apparaissent très proches en performances ! Il a fallu plus de dix jours pour que se détache légèrement le vainqueur par rapport à ses concurrents. Et sur une Artemis Transat pour le moins variée en terme de conditions de navigation, cela indique bien que tous les nouveaux bateaux, qu'ils soient conçus par Bruce Farr (Gitana Eighty, BT, PRB, Foncia), par le Groupe Finot (Brit Air, Generali) ou par VPLP-Verdier (Safran) ne semblent pas avoir de « trou » c'est-à-dire de situation défavorable où le différentiel est important, et apparaissent très complets et polyvalents. Du portant mou, du reaching musclé, du vent arrière viril, du travers modéré, du près poussif, puis actif, enfin tonique, de la pétole, des brises instables, de la mer forte ou plate. Tout a été testé sur ce parcours de 2 982 milles ! Et jamais il n'y a eu un bateau qui s'est détaché sensiblement en raison de performances supérieures.

En revanche, le différentiel entre les derniers nés et la génération précédente est clairement identifié : il faut compter un demi nœud contre le vent faible ou soutenu, un à deux nœuds au travers musclé, peu de différence au vent arrière entre les premiers et le groupe des poursuivants sur des bateaux construits entre 1996 (Cervin EnR, Akena Vérandas) et 2000 (Roxy). Mais le facteur connaissance du bateau est un incontestable bonus et c'est bien pour cette raison que les solitaires de The Artemis Transat cumulent les atouts en prévision du Vendée Globe.

C'est encore loin Boston ?
Evidemment, lorsque les premiers sont arrivés, les conditions de navigation ne sont plus tout à fait les mêmes pour leurs poursuivants. Avec plus de 300 milles d'écart, c'est une journée minimum de décalage météorologique, et comme en sus, cette Artemis Transat a décidemment un visage bien différent des habitudes d'un Atlantique Nord, le paysage est totalement incongru ! En ce dimanche, Marc Guillemot décrivait un lac Léman entre Boston et la Nouvelle-écosse sous le soleil et sur une mer plate où le trafic maritime s'intensifiait.

Même décor pour Arnaud Boissières (Akena Vérandas) et Yannick Bestaven (Cervin EnR) qui observaient une atmosphère presque irréelle de souffle absent en surface et léger en altitude, en tout cas suffisant pour avancer à vitesse réduite mais constante. Pour Samantha Davies, l'environnement était presque identique mais Roxy progressait bien vers l'arrivée en attendant une bascule franche du vent au Sud-Ouest en se renforçant. A ce rythme, Safran devrait arriver dans la nuit de dimanche à lundi (heure française), puis Sam Davies lundi soir suivie par Yannick et Arnaud, Dee Caffari (Aviva) étant plutôt prévue pour mardi et Steve White (Spirit of Weymouth) pour mercredi.

Classement du dimanche 25 mai à 14h00 (heure française)
1- Loïck Peyron (Gitana Eighty) le samedi 24 mai à 3h15'35'' UTC en 12j 11h 45' 35 (redressement de 2h30 du Jury inclus)
2- Armel Le Cléac'h (Brit Air) en 12j 19h 28' 40'' à 7h 43' 05'' du premier
3- Yann Eliès (Generali) en 13j 15h 00' 22'' à 1j 3h 14' 47'' du premier
4- Marc Guillemot (Safran) à 164 milles de l'arrivée
5- Samantha Davies (Roxy) à 329 milles
6- Yannick Bestaven (Cervin EnR) à 377 milles
7- Arnaud Boissières (Akena Vérandas) à 385 milles
8- Dee Caffari (Aviva) à 435 milles
9- Steve White (Spirit of Weymouth) à 567 milles
Abandon- Vincent Riou (PRB)
Abandon- Unai Basurko (Pakea Biskaia 2009)
Abandon- Sébastien Josse (BT)
Abandon- Michel Desjoyeaux (Foncia)

Commentaires
Yann Eliès (Generali) à son arrivée à Boston Harbor Hotel
« Stressante cette arrivée ! Ca a traîné et puis surtout, j'avais ma barre de flèche haute tribord qui partait en quenouille. L'axe fait un angle et je m'en suis rendu compte avant-hier soir. J'ai dû prendre deux ris et mettre la trinquette. Et puis finalement, j'ai dû tirer des bords comme au Figaro ! Une arrivée tout en douceur. Je n'avais pas trop la pression derrière mais tout de même. Cette troisième place, il ne fallait pas qu'elle m'échappe ! C'est important de faire un podium sur The Artemis Transat. Mais j'aurais voulu être plus proche de Loïck et Armel.
C'était un bonheur d'être tout seul sur ce bateau, surtout pendant le black-out. Je me souviens du bord sous spinnaker avec trente nœuds de vent ! Je ne pensais pas que c'était possible de tenir autant de toile. grand voile haute et grand spi. Et de même sur un reaching musclé et le dernier coup de baston à la fin. Ca tape mais ça passe.
Ce n'est pas toujours facile de trouver le bon compromis. Sur cette transat, il ne fallait pas être premier, sauf à la fin ! Et il a fait chaud jusqu'à l'arrivée à Boston. On a tout eu : du mou, du fort, du près, du portant. Techniquement, j'ai eu pas mal de soucis, mais en terme de performance, c'est nickel : on a rien à envier aux plans Farr ! Maintenant, ce sont les hommes qui font la différence. J'ai un petit coup de mou à cause du stress du mât à l'arrivée. Mais ça passe vite, une transat ! J'ai une super chance de naviguer sur ce bateau-là. »

Vincent Riou (PRB)
« Quand j'ai dû laisser mon bateau, j'avais un sentiment de colère. C'est difficile d'en arriver à des situations idiotes comme celle-là. Mais c'était la bonne décision. Cela ne servait à rien de prendre des risques inutiles et d'aller se faire peur à six mois du Vendée Globe. Cela s'est bien passé à bord de Gitana Eighty. Je dois dire que je ne pouvais pas mieux tomber : Loick est quelqu'un capable de gérer toutes sortes de situation. Secourir quelqu'un lui est déjà arrivé. C'est un « monstre » de la course au large. C'est le meilleur interlocuteur pour garder le moral. Il a tout le temps la pêche. J'ai essayé de le déranger le moins possible. C'est sûr, mon arrivée à bord a cassé son rythme. Psychologiquement, ce n'est pas pareil d'avoir quelqu'un à bord. Je le remercie encore pour l'accueil qu'il m'a réservé. Sa victoire est belle. Il a bien navigué et a fait tout ce qu'il fallait faire. Il a su être raisonnable quand il le fallait mais aussi privilégier la vitesse aux moments opportuns. C'est l'expérience qui a payé. Je ne peux pas dire grand-chose tant que je n'aurais pas analysé plus précisément le bateau. Je suis bien sûr rassuré que PRB soit pris en remorque. Je vais aller à Halifax pour, notamment, trouver une grue qui soit prête dès l'arrivée de PRB. »

Dee Caffari (Aviva)
« Pétole brumeuse : après avoir bien dormi, la journée qui a suivi a été bien meilleure. Je me sentais au top après avoir étudié la météo et avoir compris qu'il ne me restait plus qu'à ramener Aviva jusqu'à Boston. Si je suivais tout le temps les autres, alors je continuerai de perdre des milles constamment. Je devais faire ma propre course comme j'ai fait jusque là. Je me suis laissée prendre par l'excitation d'être plus près des autres. J'ai plongé au Sud et j'ai changé la voilure en avance car j'étais sûre qu'on allait vers moins de vent. Et là, alors que je commençais à prendre du plaisir et qu'on avançait bien, je me suis arrêtée. Coincée dans la pétole et le brouillard. Pas de visibilité, pas de vent, pas de vitesse, en fait pas grand-chose de rien ! Quelques heures plus tard, le brouillard s'est dissipé pour laisser place à une soirée magnifique avec 4 nœuds de vent qui ont suffi à nous faire repartir. J'ai regardé le banc de brume partir et me suis dit que celui-là devait être rien pour nous et que les autres, encore une fois devaient profiter de bonnes conditions de navigation. On ne saura ça qu'au petit matin. »

Marc Guillemot (Safran
« Le vent ne me dérange pas ! C'est calme sur zone : cela ressemble étrangement au lac de Genève. Je suis à 175 milles de Boston et hier soir, j'étais au cap Sable où j'y suis resté sept heures ! J'avance tout de même à quatre nœuds mais en fait, il n'y a pas de vent en surface mais de la brise en tête de mât : ça cisaille ! Quelle transat particulière depuis le départ. On peut m'attendre dans la nuit de dimanche à lundi, mais plus tard aussi ! Les routages ne voient pas les bulles sans vent. Je vais m'ouvrir ma dernière boîte de foie de morue : c'est de bon ton vu que nous sommes sur les anciennes zones de pêche à la morue ! Les nuits sont très fraîches : ce matin, l'huile d'olive était gelée.Le soleil s'est levé et c'est magnifique : il y a une belle lumière et du passage, des cargos, des bateaux de pêche, une mer d'huile. »

Yannick Bestaven (Cervin EnR)
« Je frise l'excès de vitesse : je suis à 1,43 nœud depuis hier après-midi. La mer est plate comme un lac, lisse de chez lisse. Je n'ai jamais vu ça. Ils ont décidé de nous mettre trente nœuds dans le nez comme hier puis des calmes comme maintenant. Et de nouveau, une cartouche à 27 nœuds la nuit prochaine ! On essaye de gagner mille par mille vers Boston, ce qui n'est pas très reposant. Et en plus, Samantha n'a décollé d'une vingtaine de milles. Les jeux ne sont pas loin d'être faits. Il n'y a plus trop de plan tactique : il y aura un virement de bord à faire la nuit prochaine. pour une arrivée le 27 mai au petit matin ! Que des arrivées en pleine nuit. On ne s'est pas adapté au décalage horaire ! »


Source : OC Events

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