mercredi 14 mai 2008

ARTEMIS TRANSAT, LES ANALYSES DE MR NELIAS


Les trajectoires de Jean-Luc Nélias


Après trois nuits en mer, les leaders jouent au chat et à la souris et les trajectoires n’indiquent pas encore très nettement les choix tactiques : Yann Eliès a marqué des points psychologiques et Armel Le Cléac’h assure sa qualification, analyse notre stratégiste à terre, Jean-Luc Nélias…

C’est difficile d’apprécier la trajectoire des concurrents dans une course en solitaire. Mardi matin, on pouvait imaginer que Michel Desjoyeaux avait une idée derrière la tête pour avoir lofé toute la nuit de lundi à mardi et ainsi se décaler au Nord de ses camarades bien que les routages ne proposaient pas grand-chose dans ce sens…

La lecture des interviews sur le site web après le classement de 6h UTC nous apprenait que Michel avait rangé le spi à la tombée de la nuit pour passer sous foc solent puis sous trinquette alors que Yann Elies avait barré son bateau sous spi jusqu'à deux heures du matin… Pour garder de la vitesse, Michel a dû lofer (serrer le vent) plus que Yann et donc se trouver naturellement décalé au Nord.

Vincent Riou, lucide, annonçait que Michel allait sans doute empanner pour rejoindre le troupeau. Chose faite quelques heures après sans trop de perte en distance au but. En ce qui concerne Yann, c’est le skipper qui a pris sans doute le plus de risque et qui a été le plus rapide. C’est souvent intéressant d’être agressif dans ce genre de situation en passant dans le Nord d’une perturbation et proche de son centre, car on peut faire pas mal d’écart décisif avec les plus timorés. Dans le cas présent, j’ai peur que le fait d’aller buter dans les vents faibles prévus devant eux réduise son impétuosité à une peau de chagrin !


Derrière, Armel Le Cléac’h a perdu du terrain mais son objectif de se qualifier pour le Vendée Globe le place dans un état d’esprit différent des « déjà qualifiés ». Plus loin derrière, le cas douloureux de Marc Guillemot illustre qu’il ne faut pas se soucier que des problèmes techniques du bateau mais qu’il faut aussi prendre soin des bonshommes et tout faire pour limiter les risques de blessure. Dans une course en solitaire, l’important est le pourcentage d’efficacité du skipper plus que la capacité du bateau à aller vite.

La trajectoire de Dee Caffari et de Unai Basurko illustre le danger de se rapprocher trop près des centres d’actions où le vent est moins fort. Le fait de passer du temps dans des problèmes électriques au lieu de dormir et de travailler à sa route, amène à ce genre d’errance…

Ce mercredi matin, on peut considérer que la flotte des six premiers est encore très groupée. Le routage de Generali et de BT distant de 70 milles en latéral, les fait arriver avec cinq minutes d’écart à la porte des glaces en faveur de Yann Eliès... Ce qui veut dire rien, quand on voit les zones de vent faibles qu’il va falloir traverser ! Il n’y a pas de coup stratégique déterminant à jouer pour le moment. Que du gagne petit. Voici un tableau des vents que va rencontrer le groupe de tête dans les prochains jours.


Jean-Luc Nélias explique qu’après quasiment deux jours de course, il faut anticiper longtemps à l’avance pour se positionner, non seulement par rapport à ses concurrents mais aussi vis-à-vis de l’évolution météorologique. Tous les chemins mènent à Boston, mais certains sont plus rapides…

Laissons tomber l’astrophysique pour le peu que je connaisse aux échecs. Aux échecs, je crois qu’une des qualités importantes est de visualiser les coups le plus loin en avance. En voile, c’est pareil : il faut placer son bateau pour le dernier coup connu à jouer. Il ne sert à rien de prendre l’avantage sur le coup 1 si l’important est d’être en tête au coup 4. Nous avons vu lundi que le décalage d’une trentaine de milles Nord-Sud de la flotte à l’approche du col anticyclonique, laissait présager d’une différence d’intensité dans le vent. En observant la vitesse moyenne plus faible de Brit Air et de Gitana Eighty, on se rendait compte qu’il y avait comme prévu moins de vent dans le Nord. C’est important de faire ce constat sur deux bateaux. En effet en solitaire, un voilier peut aller un peu moins vite pendant quelques heures parce que le skipper prend du repos et qu’il utilise le gennaker plutôt que le spi (voire pire).



Il faut que les skippers maintenant répertorient les coups à jouer jusqu’à la porte des glaces. Le premier était sans doute le col anticyclonique de lundi, le deuxième est le franchissement par le Nord de la basse pression ce mardi, le troisième sans doute un nouveau col anticyclonique avec très peu de vent pour mercredi, le quatrième… On ne va pas leur faire le boulot quand même au cas où ils consultent ma rubrique ! L’analyse super pointue de la situation assez complexe qui se dresse devant eux demande une fraîcheur intellectuelle que l’on ne maintient que par le sommeil. Cela ne sert à pas grand-chose de naviguer « à fond les ballons » avec des allumettes pour tenir les paupières, si c’est pour aller dans du rien…


A la lecture des positions de ce mardi matin, on se rend compte que l’enchaînement du coup1 et du coup 2 a fait des dégâts en milles dans la flotte. Le coup 2 est en train de se finir et les placements pour les prochains coups en train de se faire. Si on regarde les deux routages issus de deux des modèles météo à la disposition des coureurs, on voit qu’il y a une petite divergence de vue sur la manière d’aborder le coup 3 et surtout le coup suivant…Le boulot d’aujourd’hui est de puiser les dernières ressources énergétiques de la basse pression du coup 2 et de commencer à choisir son placement pour le futur…



Pour se faire froid dans le dos, on peut regarder la carte des services météorologiques allemands pour le 15 mai à 00 UTC. Les lignes noires sont des isobares. Plus elles sont serrées et plus il y a du vent, plus elles sont écartées et moins il y a de vent. Le milieu de l’Atlantique sera sans doute plus adapté à la pêche à la ligne qu’à la navigation à la voile ce jeudi prochain. Mais c’est une anticipation à 48 heures et les prévisions vont peut être évoluer… Peut-être ?

Jean-Luc Nélias

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