lundi 5 mai 2008

La marine marchande surfe sur les courants





Les modèles océanographiques sont aujourd'hui assez précis pour router les cargos en diminuant les dépenses de carburant.

C'est fou le nombre de vieilles astuces que l'humanité fait mine de redécouvrir en ce moment. La marine marchande, par exemple, se souvient que les courants océaniques, ça aide bien. Deux transporteurs pionniers CMA-CGM et Broström veulent faire pratiquer le surf à leurs porte-conteneurs. Le but n'est pas de profiter des vagues, car pour un capitaine de cargo, 3 mètres de creux, c'est une mer d'huile. Mais les courants, eux, offrent de confortables tapis roulants capables de pousser les navires de quelques noeuds supplémentaires.
Jusqu'ici, les cargos n'exploitaient que les grands courants océaniques comme le Gulf Stream. Bien connus et permanents, ils offrent des boulevards aux capitaines mais leurs trajectoires ne correspondent pas toujours aux routes orthodromiques, les plus courtes d'un point A à un point B. Les sociétés de routage, qui proposent aux équipages des stratégies de navigation, prennent déjà en compte les données historiques de ces courants, au même titre que la météorologie ou les zones de piraterie.
Tourbillons éphémères
La connaissance scientifique offre aujourd'hui les données en temps réel de ces grands courants. Grâce aux mesures des satellites altimétriques, les océanographes savent désormais modéliser l'état des mers en temps réel, voire plusieurs semaines à l'avance. L'océanographie opérationnelle permet aussi d'exploiter un autre type de courant, les grands tourbillons, mieux distribués dans les océans mais difficiles à repérer car éphémères. Or les derniers modèles ont la résolution suffisante pour détecter les tourbillons d'un diamètre supérieur à la centaine de kilomètres. Une échelle exploitable.
La société française CLS (*), qui recueille les données de plusieurs satellites altimétriques comme Jason-1, en a déduit plusieurs applications, dont le routage optimisé des cargos. Théoriquement, un navire devrait pouvoir surfer d'un bord de tourbillon à un autre pour profiter de l'effet d'accélération, comme les voiliers le font avec les grands tourbillons atmosphériques, ou les sondes spatiales avec l'effet de fronde dû à la gravitation des planètes.
La prévision des courants aurait un autre impact positif : il rendrait caduc ce que le jargon nomme le pied-pilote. En clair, les capitaines ne connaissent jamais vraiment la mer qu'ils vont rencontrer. Ils ne voguent donc pas à la vitesse idéale mais conservent une marge de sécurité. Pour compenser, ils accélèrent au départ ou à l'arrivée. Le moteur ne fonctionne pas à son régime de rendement optimal (70 %) mais à quelques pourcents au-dessus ou en dessous. Cet écart de régime suffit à dégrader la consommation du navire. Le prix du baril de pétrole pousse aujourd'hui les armateurs à optimiser chaque dixième de pourcent de la consommation de leur flotte. A 2 millions de dollars, la traversée du Pacifique, un petit gain est économiquement significatif. « Nous évaluons à 5 % l'économie de carburant permise par un noeud de courant », précise Philippe Escudier, directeur de l'océanographie spatiale chez CLS.
Reste à vérifier la pertinence du concept. « Nous avons été contactés par quelques compagnies de transport maritime il y a plus de deux ans. Puis, il a fallu trouver des capitaines assez ouverts pour se prêter au jeu de l'expérimentation », raconte Laurent Guerlou, responsable du projet.
Pertinence des prévisions
Plusieurs voyages océaniques sur deux navires ont déjà été récemment routés par CLS. Les routeurs ont choisi une traversée du golfe du Mexique, car cette zone produit des tourbillons intéressants. Avant le départ, le capitaine a reçu le trajet proposé par les océanographes. « Nous avons proposé une alternative raisonnable faite de petits ajustements allant jusqu'à 100 miles nautiques (180 km). Il s'agit de ne pas brusquer les repères des équipages. Mais à terme, nos routes optimales pourraient proposer des écarts allant jusqu'à 300 miles nautiques des trajectoires classiques », assure Laurent Guerlou. Un voyage de la Méditerranée vers la Chine et une route transatlantique de l'Europe vers les Caraïbes sont en préparation. La flotte expérimentale passera à 4 porte-conteneurs prochainement.
Ces expérimentations servent aussi à CLS à recaler ses modèles de courant. L'instrumentation des navires permet de connaître la vitesse exacte de l'eau. CLS vérifie donc la pertinence de ses prévisions et corrige les approximations. Les océanographes réaliseront une synthèse des résultats pour l'automne prochain. D'ici un an, CLS décidera de se lancer directement dans le routage, une activité qui lui est jusqu'ici étrangère. La société traite, interprète et fournit des données satellitaires mais ne les exploite pas. A terme, Laurent Guerlou plaide pour que le routage puisse devenir obligatoire et se concentrer autour d'organismes publics comme pour le trafic aérien. Le transport maritime se place en 5e position des secteurs les plus émetteurs en CO2 loin devant l'aviation.

http://www.cls.fr/

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