mercredi 11 juin 2008

Géostratégie : L'océan Indien, nouvel espace de compétition entre l'Inde et la Chine


Nul ne veut la guerre, et les relations bilatérales n'ont jamais été aussi étroites depuis 1962. Mais à l'heure du boom économique en Inde et en Chine, les deux pays cherchent à étendre leur contrôle sur une voie navigable stratégique dans l'océan Indien, nouveau théâtre d'une rivalité potentiellement dangereuse.
Des décennies durant, le monde a compté sur la puissante Marine américaine pour protéger l'une des plus grandes artères commerciales de la planète, la route maritime empruntée par des milliers de bateaux apportant à l'Asie pétrole et matières premières en provenance du Moyen-Orient et repartant chargés de téléviseurs, jouets et chaussures de sport pour les consommateurs européens.
Ces cargos fournissent 80% du pétrole de la Chine et 65% du brut de l'Inde, des approvisionnements dont ont terriblement besoin les économies des deux pays. Le Japon est lui aussi pratiquement totalement dépendant du carburant qui passe par l'océan Indien.
Toute perturbation -terrorisme, piraterie, catastrophe naturelle ou guerre-pourrait avoir un effet dévastateur sur ces pays, sans compter les répercussions par ricochet à travers le monde.
Dans cette zone éminemment stratégique, Pékin et New Delhi cherchent à conquérir de nouveaux espaces maritimes à un moment où leurs relations se trouvent pourtant au mieux depuis le conflit frontalier de 1962 marqué par la rapide déroute des forces indiennes. L'an dernier, les échanges commerciaux entre les deux pays se sont élevés à 37 milliards de dollars (24,8 milliards d'euros) et leurs armées ont mené le premier exercice militaire conjoint de leur histoire.
Il n'empêche, l'océan Indien devient un enjeu de rivalités. La Chine a apporté une aide énorme aux pays de l'océan Indien, signant des pactes d'amitié, construisant des ports au Pakistan et au Bangladesh ainsi qu'au Sri Lanka, et établissant, selon des informations, un poste d'écoute sur une île de Birmanie près du stratégique détroit de Malacca.
Aujourd'hui, l'Inde essaie de riposter à ces "coups". Elle s'est imposée face à la Chine pour un projet portuaire en Birmanie. Et renforce son armée. Washington et, dans une moindre mesure, Tokyo, encouragent New Delhi à faire contrepoids à la puissance croissante de Pékin.
L'un des derniers "tours" de la Chine est le port de plusieurs milliards de dollars que ses ingénieurs construisent au Sri Lanka, pays situé au large de la côte Sud de l'Inde. Pékin assure que le port d'Hambantota est un projet purement commercial, et selon toutes les apparences, c'est le cas. Pour le sud déshérité du Sri Lanka, ce nouveau port représentera une chance. Outre la proximité du pays avec le couloir de navigation qui en fait déjà une plate-forme pour les porte-conteneurs entre l'Europe et l'Asie, le port va porter la capacité annuelle nationale de traitement des cargaisons de six millions de conteneurs à environ 23 millions, selon Priyath Wickrama, directeur-adjoint de l'Autorité portuaire du Sri Lanka.
Mais certains en Inde soupçonnent d'inquiétants desseins derrière ce projet. Dans un rapport datant de 2004, le Pentagone évoquait le "chapelet de perles" des efforts déployés par Pékin pour étendre sa présence dans la région. "Chaque perle du chapelet est un lien dans une chaîne de la présence maritime chinoise", a estimé en janvier le commandant de la Marine indienne, l'amiral Sureesh Mehta.
"Nous ne pouvons pas imaginer que leurs intentions sont bienveillantes", considère B. Raman, responsable des renseignements indiens à la retraite. "C'est un mouvement de tenaille", observe pour sa part Rahul Bedi, un analyste travaillant pour la revue spécialisée "Jane's Defense Weekly".
Semblant vouloir répondre à la Chine, l'Inde renforce son armée et a installé des postes d'écoute au Mozambique et à Madagascar, en partie pour surveiller les mouvements chinois, selon Rahul Bedi. Elle dispose également d'une base aérienne au Kazakhstan et d'un poste de surveillance en Mongolie, deux voisins de la Chine.
L'Inde a aussi annoncé le projet de se doter de porte-avions et des sous-marins nucléaires dans les dix prochaines années, a récemment procédé à des tests de missiles, et rouvre des bases aériennes près de la frontière chinoise.
Officiellement, la Chine dit ne pas s'en inquiéter. Mais pour plusieurs analystes étrangers, Pékin est profondément préoccupé par la possibilité d'une alliance militaire entre New Dehli et Washington.

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